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Une femme à la mèreLouise vit depuis dix ans avec Pablo, un réalisateur qui fourmille de projets, a deux enfants, Angèle et Paul, de 9 et 5 ans, un père philosophe, connu dans le monde entier, et une mère, dont le fantôme la hante. Après « Le rendez-vous » , « Rien de grave » et « Mauvaise fille », « La gaieté » est le quatrième livre de Justine Levy ; c’est aussi le quatrième épisode de la vie de sa narratrice. Vous pensez autofiction ? Vous avez raison. Dans ce registre, Justine alias Louise tire, mine de rien, son épingle du jeu. Sur la pointe des pieds, elle revient peu ou prou tous les cinq ans nourrir les aventures de son avatar, psychanalyse à peine dissimulée derrière le paravent de la littérature. Oui, mais voilà, on a beau se dire que l’on ne nous y prendra plus, nous sommes obligés d’admettre qu’il y a un je-ne-sais-quoi d’addictifà la suivre, un truc qui nous fait basculer et qui, une fois le livre refermé, nous oblige à reconnaître qu’on a aimé. En apparence, l’existence de la jeune femme s’est simplifiée, rythmée par le calendrier scolaire, les courses, les activités du mercredi, les visites chez le pédiatre : enfant, ménage, dodo. Dans ce schéma volontairement primitif, seul le dimanche fait tâche : le grand vide se tient en embuscade quand les portes des écoles sont closes et qu’il n’y a ni magasin ouvert ni activité programmée. Si dans ses précédents romans, la jeune femme questionnait son rapport à la mère, dans « La gaieté », elle interroge la maternité. Désormais, la maman, c’est elle. Elle qui ne dort plus, qui ne vit plus que pour ces deux êtres minuscules dont elle est le centre du monde. Son cœur de femme a cessé de saigner, mais Louise découvre la peur qui vrille le ventre lorsque l’enfant est malade, la peur qu’il trébuche dans la rue devant une voiture, au parc sur une racine d’arbre, la peur qu’il soit enlevé par un prédateur, la fausse route, l’apnée du sommeil, l’œdème de Quincke, la rougeole qui laisse sourd, l’allergie non détectée à une piqûre de guêpe… Derrière le quotidien rassurant, louvoient le doute et la crainte de ne pas être à la hauteur. Le fil d’Ariane continue d’être tiré : avoir été une mauvaise fille n’était qu’un prélude ; Louise a fini par admettre qu’elle n’était pas responsable de celle qui l’avait engendrée… Ni responsable ni coupable de la dépression de sa mère qu’elle voyait tomber de plus en plus bas, se détruire sans que rien ne puisse la retenir. La libération fut de courte durée, touchant du doigt une autre responsabilité : celle que l’on endosse envers sa descendance. Par-dessus tout, Louise craint maintenant de transmettre ce gène de la tristesse, reçu en héritage. Alors Louise s’est promis d’être gaie, non pas heureuse car le bonheur ne se décrète pas, mais gaie. Etre gaie ne suffit pas cependant, elle veut immuniser ses enfants contre la grisaille du monde. Selon le principe d’un vaccin, qui inocule le virus au patient pour qu’il développe ses propres anticorps, Louise tente de les protéger en leur apprenant un peu de la dureté de la vie. A dose homéopathique, elle leur parle de tout, de la Shoah, du père Noël qui n’existe pas, de la méchanceté des gens « juste au cas où cela arriverait ». Heureusement, les mythes ont la peau dure et les enfants des ressources insoupçonnables. Alors qu’ils s’accrochent à leur monde merveilleux, lovés dans le cocon protecteur de l’enfance, Louise se demande comment être une bonne mère quand on a manqué d’une figure et d’une présence maternelle. Les voir grandir fait remonter des souvenirs à la surface de sa mémoire, qui affluent par vague, ravivant une douleur enfouie. « Elle me manquait quand elle était vivante, elle me manque maintenant qu’elle est morte, elle m’a toujours manqué, comme un œil en moins, un bras en moins, une case en moins, il paraît qu’on s’habitue, mais je ne m’habitue pas ». Ce livre est une douce surprise. J’avoue, j’ai commencé par être déçue, trop de nombrilisme, et puis, les pages s’enchaînant les unes aux autres avec une aisance réelle, j’ai changé d’avis. Malgré une certaine naïveté, ce récit ne sonne jamais faux et donne le sentiment que la narratrice ne triche pas. Son désarroi touche et émeut. Sous l’effet de la littérature, l’autofiction devient miroir universel. L’histoire personnelle de Louise finit par dépasser son cadre initial. Le roman de ses tourments est tout simplement celui d’une mère en proie aux doutes, face à ses enfants qu’elle veut armer pour le futur, afin d’en faire des adultes équilibrés… et heureux. Paradoxalement, « La gaieté » est un livre triste qui fait du bien car il rassure. En le lisant, toute mère apprentie sorcière se sentira moins seule.
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coup de coeur
Rompre la chaîne de la tristesse et choisir la vie
Louise aimerait n’être pas hantée par ses démons, ceux de son enfance en particulier. Depuis qu’elle est mère, deux fois mère, elle ne veut plus de cet état. Pas question d’être une maman malheureuse, puisque « une maman malheureuse vous refile toujours un bout de son malheur ». Louise décide de rompre la chaîne de la tristesse, de bloquer la transmission, d’appeler la gaieté, de s’y réfugier et d’en faire l’environnement de ses enfants. Avec des mots simples, des images fortes et des phrases longues, produit d’un emballement de l’esprit que le lecteur voudrait ne jamais arrêter tant il est délicieux à lire, Justine Lévy raconte les efforts, la volonté et la détermination, que côtoient la sensation récurrente, sinon constante, d’être à côté de soi-même, et les ombres du passé. Elle raconte les digues qui cèdent et « les éclats de mémoire qui explosent comme des vieilles grenades, soixante-dix ans après, sur les plages de Normandie. » Dans ce roman de la maturité, Justine Lévy démontre fort joliment qu’on a toujours la possibilité de cesser d’exhumer le passé, de cesser de raviver les douleurs, et de choisir la vie. Retrouvez Sophie sur son blog De très beaux accents de vérité
C’est l’histoire de Louise qui a rencontré Pablo (et qui depuis voit les hommes en deux seules et uniques catégories : Pablo, et les non-Pablo – je trouve ça hyper joli) et ensemble ils ont eu deux enfants. Chargée d’une histoire familiale traumatique, elle a décidé, à la naissance de ses enfants, que c’était terminé la tristesse. Elle n’aspire pas pour autant au bonheur (elle n’y croit pas, en terme de notion durable), mais « simplement » à la gaieté. Elle croit, oui, qu’on peut décider d’être gaie. Et s’y tenir… C’est l’histoire de Justine Levy qui transpose sa vie en roman (pour la fixer avec une certaine distance permettant paradoxalement de dire « plus ») et qui n’en a pas terminé avec son enfance. Devenir mère réactive tout, et elle en est là, à se débattre pour ranger les choses, fixer chacun à sa place et peut-être enfin, alors, avancer ? Les 215 pages sont comme une spirale, le rythme est rapide, il y a un côté mitraillette, une certaine oralité qui m’a plu (en tous les cas bien adaptée) et de très beaux accents de vérité. Ce que j’ai le plus senti, tout au long de ma lecture, c’est la sincérité, l’absence d’artifice, on aime ou pas ce genre de roman (autofictionnel, donc), mais si on aime, on peut y aller. Devenir mère
Lire un roman de Justine Lévy, c’est comme ouvrir une boite de bons chocolats: on déguste. Dans ce quatrième roman, Louise, alias Justine Lévy, a décidé d’arrêter d’être triste lors de sa première grossesse. Il est vrai qu’elle en connaît un bout sur la tristesse et le chagrin. Elle se souvient de la rencontre avec le père de ses enfants au moment où elle hésitait « entre la défenestration et le meurtre ». Au cours de la lecture, son mal-être nous empoigne tandis que ses petits remèdes font sourire: « …mes « Nicorette » qui me font zozoter » . Malheureusement, les grossesses convoquent l’enfance et certains mauvais souvenirs ressurgissent. Louise se pose des questions, cherche les réponses et escamote sa mémoire à volonté. Ce roman ressemble à une confidence encombrée de tristesse. Le style de Justine Lévy est toujours aussi direct, plein de dérision, d’humour et de cynisme. Les phrases sont longues comme ses cheveux d’enfant avant qu’une méchante marâtre ne les coupe. Sa mère est omniprésente; il est également question du père (BHL) qui apparaît toujours comme l’homme fort de la situation. Elle décrit également son quotidien en famille avec Pablo et ses enfants. Il faut bien avouer que les passages les plus réjouissants sont ceux qui racontent justement son quotidien de mère et quelques anecdotes enfantines. Mais Louise est toujours rattrapée par ses peurs, ses angoisses et son éternelle crainte de l’abandon. Alors, la lectrice ressent l’envie de la rassurer, de taire ses incertitudes et de lui préparer un bon couscous au beurre avec des raisins secs. Heureusement, Louise fait barrage aux mauvaises transmissions… Mieux que le Xanax, le Doliprane ou le Cymbalta, espérons que la gaieté fasse bientôt son effet. Bon moment de lecture. |
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