En 1995, Vassilis Alexakis reçoit le Médicis pour son livre paru cette année-là, « La langue maternelle », vingt ans après la sortie de son premier roman, « Le sandwich » (qui vient d’être réédité chez Stock). Cette consécration est largement méritée par cet auteur reconnu mais discret, qui aujourd’hui (soit de nouveau vingt ans après !) compte d’innombrables aficionados, à commencer par un certain nombre de libraires, bibliothécaires et critiques littéraires qui se jettent sur ses nouveaux livres comme si leur vie en dépendait.
Parce que chacun sait qu’Alexakis nous apporte toujours plus qu’un simple bon roman.
Né en Grèce, venu à Paris pour étudier alors que le régime des Colonels pesait sur Athènes, Vassilis Alexakis écrit en français, mais parfois en grec, se traduit lui-même d’une langue à l’autre, raconte la France depuis l’île de Tinos où il passe une bonne partie de l’année et, quand il est à Paris, fait vivre ou revivre les proches qu’il a laissés là-bas, sa mère en particulier. Alexakis, c’est aussi un travail d’autofiction extrêmement singulier, une enquête sans fin où un narrateur, toujours un peu égaré, cherche et ne trouve jamais, ou trouve autre chose, mais sait-il seulement ce qu’il cherche ?
Dans « La langue maternelle », Pavlos, Parisien depuis longtemps, rentre en Grèce où sa mère est morte. Refera-t-il sa vie dans ce pays ? Un peu par hasard, il se met à chercher la signification de l’epsilon, le E grec, qui surmontait la porte du temple de Delphes. Dans ce qui, en apparence, pourrait n’être qu’une enquête savante au cœur de la langue grecque, toutes sortes de souvenirs surgissent, images de l’enfance, de la mère disparue, de tout ce que Pavlos avait cru pouvoir oublier.
Rarement un auteur aura réussi à mêler ainsi érudition et intimité, histoire collective et passé personnel, et à mettre à nu ce que notre relation à la langue maternelle dit de nous. Depuis, toute l’œuvre d’Alexakis me paraît ressembler à un savant édifice patiemment construit, complexe et truffé de passages secrets, un édifice dont on a l’impression de n’avoir jamais entrouvert toutes les portes dérobées.