Les internautes l'ont lu
Je tiens à préciser tout de suite que malgré tout ce qui va suivre, j’ai pris un très grand plaisir à lire ce livre. Je me suis bien amusé de certaines situations même si certaines me semblent aller trop loin… nous y reviendrons. Mon côté néophyte de la linguistique n’y est certainement pas étranger et j’ai pour ma part apprécié le côté didactique du livre qui se place ainsi clairement comme un ouvrage de vulgarisation à l’attention du grand public. Mais je pense qu’il a d’autres prétentions et c’est là que le bat blesse. « (ils) laissent passer un groupe de maos apparemment décidés à casser du spinoziste aux cris de « Badiou avec nous ! » » Livre intellectuel raté à visées populaires ou livre populaire réussi à visées intellectuelles ? Là est toute la question et je n’arrive pas à trancher. Pour l’aspect populaire de vulgarisation, j’ai pris plaisir à apprendre qu’il existait, selon Jakobson, six fonctions du langage (référentielle : ce dont on parle ; émotive ou expressive : exprime la position de l’émetteur ; conative : dirigée vers le récepteur, souvent sous forme d’interpellation ; phatique : la parole pour la parole, sans attacher d’importance au contenu ; métalinguistique : sert à s’assurer qu’émetteur et récepteur se comprennent, le dictionnaire est un objet purement métalinguistique, par exemple ; poétique : elle se passe de commentaire mais relève de tout ce qui a trait aux jeux de langages). L’objet du livre est de nous mener sur la trace d’une éventuelle septième fonction du langage, dite performative. Pour ce faire, Laurent Binet nous accorde deux aides : un inspecteur de police et un linguiste, petit universitaire engoncé qui nous précède dans le cadre de l’enquête demandée par un Giscard alors président (nous sommes en 1980) sur la mort accidentelle ou non de Rolland Barthes, sur fond d’élection présidentielle à venir et de luttes intestines dans le petit monde des intellectuels français mais pas que. Laurent Binet fait cela dans un style extrêmement fluide et accessible en y injectant une bonne dose d’humour relevé par l’antagonisme au départ de l’inspecteur et du linguiste, l’un étant représentant d’une droite vieille France et l’autre d’une gauche encore timide. Pour autant cet humour est-il vraiment efficace ? Oui mais il fait grincer des dents et des neurones. On a beau essayer d’y voir un second ou troisième degré, l’attaque contre les intellectuels de l’époque avec Philippe Sollers et Julia Kristeva en figures de proue est féroce. Le mélange des genres parait alors un peu suspect. Pour ne rien arranger, Laurent Binet pousse les descriptions de ses personnages très loin dans le ridicule et le n’importe quoi, au même titre que certaines scènes qui tiennent du grand guignol plus que de l’enquête policière et/ou linguistique. Les personnages n’existent alors plus que dans leur caricature et le symbole qu’ils sont sensés représenter perd alors de sa crédibilité. Petite note paradoxale sur ce récit et sur l’objet livre : Laurent Binet prend la parti de la défense du langage dans tout ce qu’il a de supérieur à l’écrit… et pour ce faire passe par l’écriture. Drôle de pied de nez qu’un linguiste favorise le plus faible des supports pour encenser l’autre !
coup de coeur
CQFD: La septième fonction du language .
Si la mort de Roland Barthes est un assassinat alors pour quoi a-t-il été tué? Si il s’agit bien d’un roman aux allures de polar tel le Nouveau Roman, ce roman est aussi me semble-t-il un bel hommage à l’un des personnages: Umberto Eco. Entre les officines politiques au plus haut sommet, les universitaires, les « intellectuels », il se joue une course poursuite dont le gagnant possédera » la septième fonction du language ». Qu’elle est donc cette fonction jusque là inconnue? Serait- ce le pouvoir des mots quand ils se transforment instantanément en actions? Serait-il alors possible que cette fonction pour laquelle on est prêt à tout soit le roman que nous lisons lui-même? Ce roman plait, divertit et instruit: serait-ce un roman classique ?
coup de coeur
Toutes les fonctions du romanesque
Mettons d’emblée les choses au point : Voilà l’un des meilleurs romans de l’année. En s’intéressant à une septième fonction – secrète – du langage, Laurent Binet réussit une œuvre polyphonique qui ne peut que ravir les amateurs de littérature, ceux qui aiment la petite musique des mots et ne dédaignent pas à l’occasion, en apprendre un peu plus sur des domaines qu’ils n’ont pas explorés jusque là.
coup de coeur
Quand le rocambolesque se conjugue avec l’érudition
Alors là, je dois dire que je n’avais jamais lu un texte de cette nature ! Intelligent, original, dense et drôle à la fois, il est aussi brillamment maîtrisé que complètement déjanté ! Par où commencer pour vous le présenter ? Laurent Binet est quant à lui doué d’un sens du romanesque et du rocambolesque suffisamment aiguisé pour trouver matière à la plus réjouissante des intrigues policières. Roland Barthes aurait en effet été en possession d’un document potentiellement capable de donner un pouvoir insurpassable à celui qui en prendrait connaissance : il révélerait la nature de la septième fonction du langage, suggérée par Roman Jakobson dans son ouvrage de référence, Essais de linguistique générale, fonction qui permettrait à celui qui la maîtrise de prendre l’ascendant sur son interlocuteur… et sur le monde. La maîtrise du discours, à l’origine était le Verbe : tel est bien le coeur de toute forme d’organisation sociale et de toute prise de pouvoir. C’est bien pour cela que la sémiologie acquit une telle importance dans les années 70-80 : si la rhétorique, qui vise à convaincre, s’exerce depuis l’Antiquité, la sémiotique, qui permet d’analyser et de décoder toute forme d’expression et de création, prétendait enfin lever le voile sur les mécanismes à l’oeuvre et, du coup, de les neutraliser et de n’en être plus le jouet. D’où peut-être une forme d’ivresse du pouvoir des mots (tant il est vrai que le discours de certains sémioticiens est abscons), que Binet met en scène de manière totalement délirante. Ce document, dont on comprend toute la valeur, va bien entendu exciter la convoitise tant des milieux politiques, qui y voient l’instrument permettant d’établir définitivement leur domination, que des intellectuels qui veulent toucher au plus près du secret de la maîtrise du verbe, au coeur de leur activité. L’enquête se déroule donc dans ces deux milieux. A l’exception des deux héros, on n’y rencontre que des personnalités existant ou ayant existé, tels Foucault, Derrida, Sollers, Kristeva, BHL, Umberto Eco, mais aussi Jack Lang, Laurent Fabius, Serge Moati, Régis Debray, Mitterrand, Giscard et bien d’autres. Ce qui est d’un premier abord assez déroutant – mais néanmoins extrêmement jubilatoire – c’est que tous ces protagonistes sont traités comme des personnages de pure fiction: contrairement aux conventions généralement admises dans un roman mettant en scène des personnages publics, ils commettent des actes et se trouvent confrontés à des situations dénués de toute espèce de vraisemblance (heureusement d’ailleurs pour Sollers, qui a dû beaucoup souffrir s’il a lu ce livre, et pas uniquement dans son amour-propre !). Et pourtant, malgré tous les excès, grâce à bien des petites touches qui fonctionnent comme des signes, le portrait des différents personnages est saisissant de ressemblance, ce qui n’est pas le moindre des talents de Binet que de parvenir à cet exploit ! Ce qui est particulièrement savoureux avec ce livre, c’est la manière dont il adopte peu à peu une démarche métadiscursive. Tandis que l’intrigue se déroule, le texte s’interroge sur sa propre nature, dans une démarche digne des analyses qu’auraient pu faire les héros de ce livre (et qui n’est pas sans rappeler les écrits d’un certain Pierre Bayard, professeur de littérature… à Paris VIII-Vincennes, tiens, tiens!). Ainsi Simon Herzog finit-il par s’interroger sur lui-même : se trouve-t-il dans la vraie vie ou dans un espace romanesque ? L’auteur va-t-il le tirer du mauvais pas où il se trouve, ou bien sa dernière heure a-t-elle sonné ? Cela ne l’empêche pas de songer qu’«un personnage comme Sollers ne peut exister en vrai» ! Retrouvez Delphine Olympe sur son blog |
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