La splendeur de la vie
Michael Kumpfmüller

Traduit par Bernard Kreiss
J'ai lu
juin 2014
317 p.  7,60 €
 
 
 
 Les internautes l'ont lu
coup de coeur

L’amour, avant qu’il ne meure.

Dans «La Splendeur de la vie », Michael Kumpfmüller met ses pas dans ceux de Franz Kafka pour nous conter ses derniers jours dans un vrai roman d’amour, tragique et bouleversant, qui allie la beauté du sentiment au savoir de la fin irrémédiable.

Franz Kafka, atteint de tuberculose depuis six ans, arrive à Müritz en ce mois de juillet 1923. Il est accueilli dans la villégiature de sa sœur Elli, sur les bords de la mer Baltique, pour quelques semaines de repos. Dans ce décor teinté d’impressionnisme proustien, Franz ne tarde pas à croiser le chemin de Dora Diamant, qui anime une colonie de vacances pour enfants juifs. Elle a vingt-cinq ans, il en a quarante, et lorsque yeux se rencontrent, c’est un véritable coup de foudre. Les vacances, faites d’échappées le long de la plage, de balades en forêt, de conversations et de projets, sont intenses mais brèves : en août, l’heure du départ a déjà sonné, et l’on se sépare le cœur un peu moins lourd avec la promesse de se retrouver à Berlin dès que possible. Tous deux pressentent d’emblée que le temps leur est compté, alors ils engrangent les souvenirs à mesure même qu’ils vivent les événements, moments déjà perdus qui ne se reproduiront plus : tout se fixe dans une mémoire immédiate, et s’ils ne se connaissent que depuis un mois, Franz et Dora ont déjà mille et un détails à se rappeler.
Après plusieurs semaines d’attente angoissée, les amants se retrouvent enfin à Berlin où ils se mettent en ménage. Dora veille aux aspects matériels, épargnant toute fatigue à son compagnon dont elle comprend intuitivement l’importance de l’écriture : elle fait la cuisine, coud, l’observe… Cette vie à deux se passe de mots, la plupart du temps ils ne font que chuchoter… serait-ce un code secret connu des seuls amants ? Pourtant, le Berlin en crise politique et financière du milieu des années 1920 ne les épargne pas ; ils vivent chichement, recevant parfois des colis envoyés par la famille Kafka : du beurre, un peu de chocolat, un édredon pour le fils souffreteux ; les visites fréquentes de l’ami Max Brod font le lien avec Prague, et sont quasiment les seules irruptions que le couple tolère dans sa bulle. Ce nouvel amour donne des élans d’écriture à Kafka, mais il est de plus en plus faible, fiévreux, et passe presque tout son temps alité, lisant, dormant, écrivant des lettres, des ébauches, de petits récits que Dora ne comprend pas toujours. Très vite, son état se dégrade. Le sanatorium de Kierling où ils se rendent tous deux ressemble davantage à une pension de famille campagnarde qu’à une clinique, et Dora peut rester aux côtés de Franz, s’occuper de lui pendant qu’il continue d’écrire jusqu’à la fin qui approche où il s’éteindra dans les bras de son aimée.

Franz Kafka et Dora Diamant n’ont même pas vécu une année entière ensemble, mais cet ultime amour est peut-être le plus beau, parce qu’il se conjugue au présent des battements de cœur dont tous deux se réjouissent sans différer parce qu’ils savent qu’ils n’auront pas l’éternité devant eux. Michael Kumpfmüller donne corps et vie à ces deux personnages dont il nous restitue la quintessence de la complicité, et l’on découvre un Franz Kafka humain, fragile et attachant, qui redevient presque enfant à mesure que la maladie s’empare de tout son être, plus Franz que Kafka. De son côté, dévouée mais libre, Dora accepte tout : les séparations, les odeurs des sanatoriums, les mauvais regards des bien-pensants et des antisémites. Leur amour perdu d’avance contre le destin est décrit avec sobriété et intensité, car même condamnée, la vie est magique, comme l’écrivait Kafka dans son Journal : cet être chétif, incompris, au monde intérieur si riche, a tôt saisi le sens de la « splendeur de la vie ».

partagez cette critique
partage par email