« Nate n’avait pas toujours été le genre de type que les femmes traitent de connard ». Nate est le surnom de Nathaniel Piven, un jeune écrivain new-yorkais de trente ans, bourré de charme quoiqu’aussi égocentrique que névrosé. Séducteur, mais pas macho, il aime les femmes et celles-ci le lui rendent bien. Ses amoureuses s’appellent Kristen, Justine, Juliet, Élisa, Greer…. Elles sont toutes ravissantes, mais surtout il tient à ce qu’elles soient intelligentes et cultivées. Elles n’ont pas toutes lu Italo Svevo ou Thomas Bernhard, selon ses critères de choix amoureux, mais au minimum elles en ont entendu parler, et pour lui ça compte beaucoup. Car contrairement à Norman Mailer et Philip Roth, Nate privilégie avec les femmes le triomphe de l’esprit à la satisfaction de ses désirs sexuels. Si Nate nourrit de grandes espérances professionnelles et sentimentales, sur ces deux plans, il est comblé. Il vient de toucher un à-valoir à six chiffres d’une importante maison d’édition pour son premier roman et surtout sa rencontre avec Hanna semble lui offrir les perspectives d’une relation affective et sexuelle enfin stabilisée.
Adelle Waldman dans ce premier roman pour « trentenaires et des poussières » dissèque au scalpel les sentiments contradictoires qui animent le parcours émotionnel de ses personnages. On ne peut que penser à la phrase de Lacan « aimer, c’est donner ce que l’on n’a pas, à quelqu’un qui n’en veut pas ». Dès le départ on pressent que c’est mal parti entre les tourtereaux et que l’on va assister aux scènes de leur vie conjugale croquées avec mordant. Il y a dans ce livre comme une tension psychologique qui tourne autour de cet échec annoncé d’une relation. Pétris des meilleures intentions, Nate et Hanna voudraient bien continuer à s’aimer, mais ils n’y arrivent pas sans en comprendre réellement les causes. Comme l’explique l’auteur avec subtilité, la désagrégation du couple échappe à toute analyse, mais elle émet tout de même l’hypothèse qu’« en règle générale, les hommes veulent une raison de mettre fin à une relation, tandis que les femmes en veulent une pour la maintenir ». Selon l’expression proustienne Adelle Waldman sait habilement « peindre sous les mots ». Elle réussit avec une apparente facilité de style à nous faire entendre les récriminations inexprimées, les actions silencieuses, les sous-entendus tranchants, les obstinations perverses de ses personnages. Cette histoire de désamour affreusement banale trouve tout son sel dans un ton très enlevé et tout son charme dans l’arrière-plan « bobo intello chic » du milieu littéraire du Village à Brooklyn. Voilà une lecture savoureuse à la croisée des univers de Eric Rohmer et Woody Allen où l’on aime suivre les tribulations amoureuses de cet anti-héros « qui s’intéresse à une femme jusqu’au moment où il se rend compte qu’elle lui appartient ».