Le Chardonneret
Donna TARTT

Traduit par Edith Soonckindt
POCKET
janvier 2014
1101 p.  11,50 €
ebook avec DRM 14,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Pris au piège

Autour de moi, on ne parlait que de « ça ». Les critiques unanimes, les plumes à l’unisson, pour un seul roman, ce « chef d’œuvre », ce « triomphe ». Le New York Times, le Guardian, et la presse littéraire française ; tous, ensemble et d’une même voix, criaient à qui voulait l’entendre à quel point « Le chardonneret » était formidable.  Ils avaient raison.
Dans les toutes premières pages, Theo Decker, jeune adolescent de 13 ans, intelligent et insouciant, vit seul avec sa mère. Son père, alcoolique et taciturne, a quitté le foyer familial. Mais nulle trace de peine dans ce nouveau couple déjà reformé à peine le paternel parti. Non, ils se suffisent à eux-mêmes, dans la chaleur de leur amour que l’on devine débordant. Mais un événement – et pas des moindres-, précipite le fragile équilibre de Theo. Au cours d’une visite au Metropolitan Museum, il se retrouve au cœur d’une explosion sans précédent. Dans une salle du musée, où la poussière et la pénombre recouvrent déjà les corps, un vieillard lui donne une bague, et l’encourage à emporter avec lui un tableau : « Le Chardonneret », œuvre inestimable et préférée de sa mère, peint par Carel Fabritius en 1654 et qui représente un oiseau enchaîné à son perchoir. Dans cet accident, il perd sa mère et avec elle, son seul repère, son seul espoir, sa seule issue. Dès lors, tout se bouscule et se complique. La famille de son meilleur ami, Andy,l’accueille, mais pas vraiment à bras ouverts. Il se sent de trop dans cette famille bourgeoise, chic et guindée. Et puis, surgissant de nulle part, son père vient le chercher pour l’emmener vivre à Las Vegas, dans une atmosphère climatisée et aseptisée. Il se retrouve parachuté, comme si son destin ne lui appartenait plus. Il rencontre Boris, un adolescent ukrainien, et l’enfer des drogues, l’exaltation, la démence, la paranoïa, les fous rires à en crever.
Pendant près de quinze ans, on suit les pas de Theo, de sa vie d’enfant à sa vie d’homme, jusqu’à Amsterdam. Existence durant laquelle trois choses l’obsèdent mortellement : la disparition de sa mère ; Pippa, la jeune fille rousse du musée dont il est tombé terriblement amoureux ; et le tableau. Ce fameux tableau qu’il a sorti de la salle et qu’il a en sa possession, alors que tous le cherchent. Tableau qu’il doit dissimuler sans faiblir, mais qu’il n’ose pas contempler, et qui le transforme en fétichiste aliéné. À l’image de l’oiseau captif, Theo est un prisonnier du passé, enchaîné à ses angoisses. Brutalement, il revient à New-York, mais même chez Hobbie, le brillant restaurateur de meubles pour qui il s’est pris d’affection, il se sent esseulé. L’explosion le poursuit toujours, fulgurante. Souffrant du syndrome de stress post-traumatique, le désormais orphelin se shoote. Les drogues le maintiennent en vie, et dans sa nouvelle vie d’antiquaire, faite de mensonges et de tromperie, son terrible isolement est des plus grands, au cœur d’une ville qui lui rappelle, sans relâche, sa mère.
Roman d’apprentissage, enquête dans l’univers de l’art… « Le chardonneret », qui prend même des allures de thriller, est tout à la fois et part dans tous les sens. Donna Tartt excelle dans chaque genre narratif, posant sur le monde et ses figures romanesques, un point de vue totalement omniscient mais non dénué de mystère. Il y a vingt ans, elle publiait « Le maître des illusions » : un chef d’œuvre. Dix années plus tard, c’était « Le petit copain » : une autre prouesse littéraire. Dix ans d’une vie, chaque fois dédiée à un roman, pour celle qui ne se contente pas d’écrire, bien au contraire : elle se documente, analyse, fouille. Elle prend son temps, replace chaque point-virgule. Rien n’est dit à la légère, rien n’est laissé au hasard. Comme une ancienne camée qui raconterait ses déboires, l’auteure développe avec fièvre le quotidien de son héros, violemment secoué par le destin, tantôt anéanti, tantôt sauvé, par les drogues et l’alcool. Ici, le suspense abonde, et nous rend addictif. Elle explore le désarroi et la souffrance, l’amertume, l’abandon et le dégoût de vivre, mais aussi la bienveillance et l’affection.
Il faudrait s’enfermer trois jours, oublier le quotidien et ses contraintes, pour se consacrer exclusivement au dernier roman de la talentueuse Donna Tartt. Ne pas avoir d’imprévu ni d’invité surprise… Mais comment parvient-t-elle à nous tenir en haleine à ce point ?  

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 Les internautes l'ont lu
coup de coeur

Le beau est-il l’avenir de l’homme ?

« Nous ne choisissons pas qui nous sommes », voilà le constat presque fataliste de Théo Decker dont nous venons de suivre plus de 1000 pages d’aventures courant sur une quinzaine d’années. Un destin singulier, aux accents de XIX ème siècle et pourtant bien ancré dans le présent, dont la dureté est particulièrement mise en lumière.

Le pavé est impressionnant, la version poche sera peut-être plus aisée à transporter et à tenir en mains. C’est apparemment l’habitude de Donna Tartt de livrer d’épais volumes, un par décennie. Et la lecture de ce dernier m’a donné envie de découvrir ses précédents ouvrages, notamment le premier (Le maître des illusions), dès que possible. Le travail est remarquable : une idée de départ originale, des personnages archi consistants, des environnements très travaillés, un fil conducteur très maîtrisé, des rebondissements dosés comme il faut. Si l’on ajoute une écriture très visuelle (en partant du principe que la traduction lui a été fidèle), on a entre les mains un petit kilo de plaisir, propre à occuper quelque temps le lecteur le plus aguerri.

En franchissant les portes du Metropolitan Museum of Art ce matin d’avril, Théo Decker ne sait pas que son destin va être irrémédiablement bouleversé. A treize ans, c’est un adolescent comme les autres, qui vit seul avec sa mère depuis que son père les a abandonnés pour s’adonner à sa passion du jeu et de l’alcool. Une mère adorée, libre, moderne, éprise d’art et de beauté. C’est elle qui l’entraîne au musée ce jour là alors qu’ils sont en avance pour leur rendez-vous avec le directeur de l’école de Théo et qu’il pleut. Peut-être que s’il avait fait beau… A quoi tient le destin ? Dans ce musée se trouvent les ingrédients qui guideront la vie de Théo dans les années qui vont suivre. Le chardonneret, d’abord, un minuscule chef d’œuvre peint par un maître hollandais au tragique destin. Un vieil homme accompagné d’une jeune fille rousse, de l’âge de Théo et dont il tombe amoureux au premier regard. Lorsqu’une explosion (bombe ? accident ? on ne l’apprend pas vraiment dans le livre) ébranle le musée, Théo et sa mère sont séparés. Il ne le sait pas encore mais il ne la reverra jamais. Il assiste impuissant à l’agonie du vieil homme qui lui confie une bague et des instructions pour la remettre à quelqu’un, et lui fait promettre d’emporter le chardonneret pour le mettre à l’abri.

La suite tient du roman d’apprentissage autant que du roman d’aventures. Peu chanceux du côté familial, Théo trouve un premier semblant de réconfort dans la famille de son meilleur ami, pénétrant ainsi le Manhattan huppé de Park avenue. Il fait également la connaissance de Hobie, le destinataire de la bague, un antiquaire dont le savoir faire l’intéressera avant de l’inspirer et auprès duquel il trouvera une rare source de tendresse. Lorsque son père se décide à refaire surface, Théo se retrouve livré à lui-même dans un Las Vegas résidentiel, aux confins du désert et à mille lieux des lumières du strip, où il se lie d’amitié avec Boris, un adolescent cabossé par la vie et aussi désœuvré et négligé que lui. Pour le meilleur et pour le pire. Alcool, drogue, délinquance… Théo côtoie le sordide tandis que le summum de la beauté, le petit chardonneret le réconforte par sa seule présence, lui maintenant la tête hors de l’eau, caché avec des montagnes de précautions. Peut-on être sauvé par l’art ? La beauté peut-elle triompher malgré tout ? Ni Théo, ni la toile ne sont au bout de leurs péripéties sur fond de trafic d’objets d’art et de grand banditisme qui parviennent à tenir le lecteur en haleine jusqu’à la fin, entre New York et Amsterdam.

« Nous ne choisissons pas qui nous sommes » mais nous pouvons choisir d’ouvrir les yeux, d’accepter la destinée sans trop la subir et de nous appuyer sur la beauté des choses, transmises au cours des siècles pour trouver un sens à ce que nous vivons et la transmettre à notre tour. Théo n’est pas encore guéri mais il a grandi. Et c’est la gorge nouée que nous l’abandonnons, prêt à vivre la suite.

Retrouvez Nicole G sur son blog 

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