Un Robin des Bois des temps modernes, auto-surnommé Judex (appellation éponyme du héros de 1917 de Louis Feuillade et Arthur Bernède, justicier drapé d’une cape noire dont la vertu est mise en avant plutôt que l’aspect criminel de ses agissements), sévit en France : il menace de mort des hommes ayant une position sociale importante (un intermédiaire de ventes d’armes qui organise des soirées où le stupre l’emporte sur la luxure, un dirigeant de grand groupe industriel mi-Bouygue mi-Margerie, un député marseillais mi-Gaudin mi-Mariani, etc…), positions sociales acquises à grands renforts de magouilles, d’argent sale et de corruption il va sans dire. Une seule condition pour qu’ils gardent la vie sauve : faire acte de contrition et céder la moitié de leur fortune indûment acquise.
La DGSI est sur le pont mais ne parvient pas à empêcher les premiers crimes, perpétrés avec audace et talent par Judex (et ses complices) qui manipule autant ses victimes que ses complices ou que les forces de l’ordre. A telle enseigne que la présence d’une taupe à la DGSI n’est pas à écarter.
C’est donc dans une ambiance de suspicion que se déroule ce roman policier ma foi bien écrit, bien construit et emballant du début à la fin. Dominique Maisons fait preuve d’un talent narratif et d’une prédisposition à dérouler son récit indéniables. En écrivant son roman au présent, il l’ancre dans une réalité immédiate pour le lecteur qui a l’impression de suivre chaque personne, caméra à l’épaule, sans en perdre une miette et dans les conditions du direct. C’est à mon sens une des premières clefs de la réussite du livre.
Ensuite, on sent dans le récit de Dominique Maisons une empathie certaine de l’auteur pour le « méchant » de son livre. Drapé dans son manteau et dans sa vengeance moralisatrice, Judex passe aux yeux de l’auteur (faisant ainsi référence au film – sous forme de série – de 1917 de Louis Feuillade, références qui émaillent tout le récit, à travers des noms de personnages, des adresses, des personnages du « Festin des fauves » qui auraient participé au remake de 1963 de Georges Franju) et du lecteur pour le justicier blanc, le zorro de l’histoire même si on ne peut s’empêcher de deviner, derrière la noble tâche qu’il s’est semble-t-il assigné à savoir de dénoncer, quitte à les assassiner, les personnes les plus corrompues et les plus viles de la société française, des objectifs plus inavouables… Cette empathie s’exprime aussi dans la présence des Anonymus, d’hacktivistes, de personnages vivant en marge de la société : le pestiféré n’est en fait que le revers de la médaille de la société à double vitesse dans laquelle nous vivons, la partie immergée de l’iceberg qui, quand elle remonte à la surface, dénonce et pointe du doigt ses errances.
Il y a bien entendu quelques ficelles un peu plus grosses que d’autres : le père de l’hacktiviste manipulé par Judex est un nordiste chômeur dépressif et alcoolique, la jeune fille embrigadée par Judex est une escort girl aux activités parallèles de dominatrice violée dans son adolescence… Mais cela passe finalement très bien et on en excuserait presque Dominique Maisons dont l’autre réussite du roman réside dans sa construction.
Celle-ci n’est pas révolutionnaire, on est sur des bases classiques mais ici forts solides. On suit quatre fils principaux : 1/ Lucie/Lucy, dominatrice à la recherche de Roxanna qui a disparu brutalement et dont la participation aux agissements de Judex n’est que la contrepartie de l’aide qui celui-ci lui apporte pour retrouver sa dulcinée, accompagnée d’Hugo l’hacktiviste manipulée à la fois par Judex qui joue sur son ambition démesurée d’être celui par lequel la société fera sa mue salvatrice et par Lucie qui joue sur sa libido d’adolescent geek démesurée, 2/ les actes barbares et violents de trois grosses brutes brésiliennes, à la recherche de mystérieux bocaux remplis de restes humains et fermés à l’aide d’or, qui essaient de faire main basse sur un groupe français dont le président Dantrebert a commencé sa fortune en créant une entreprise de commerce de bois responsable de la déforestation de leur région d’origine, 3/ l’enquête des forces de l’ordre et notamment la partie menée par Rossi et son collègue Malic et 4/ les agissements à proprement parlé de Judex, la justification de ses actes, etc…
Tous ces fils empruntent des routes sinueuses qui finissent fatalement par se rejoindre, petit à petit, pour livrer enfin au lecteur une vision d’ensemble du tableau peint par Dominique Maisons, avec les couleurs les plus sales de la corruption, de la manigance politicarde, de la duperie des masses.
La question qui reste en suspens finalement est celle de savoir si la faim (ou la soif de justice/vengeance des fauves qui festoient) justifie les moyens, si l’absence de morale des uns justifie le franchissement des limites de la légalité par les autres ? Dominique Maisons montre bien l’écart qu’il y a entre deux mondes qui ne sont pas soumis aux mêmes règles, que cette égalitarisme est une utopie et que la « société » est là pour permettre à tout le monde de vivre ensemble sans pour autant faire en sorte que tout le monde vive de la même façon. C’est peut-être là le message le plus difficile que Dominique Maisons essaie de nous faire passer, sans prétention, habilement et de façon fort distrayante (même si elle est parfois un peu didactique (mais sans être jamais ennuyeuse et plutôt éclairante) et donc efficace parce qu’intelligemment faite quand il explique, détaille ou développe son propos pour lequel il aurait pu faire par-ci par-là quelques (maigres) économies de mots).
Allez, ne ratez pas ce festin, il y en a pour tout le monde !