Le Garcon Incassable
Seyvos Florence

Points
août 2014
192 p.  6,50 €
ebook avec DRM 6,49 €
 
 
 
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Le garçon incassable

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L’un est cassé et l’autre aussi

Ce livre démarre quand la narratrice, arrivée à Los Angeles, s’apprête à aller voir de près les maisons où Buster Keaton a résidé à Beverly Hills. L’écrivaine française fait des recherches pour son prochain livre. Mais que cherche-t-elle vraiment? Ou plutôt qui cherche-t-elle?

Son travail lui fait d’abord rencontrer Henri, son oncle maternel, né handicapé pendant la guerre et mort à trente-trois ans quand elle n’avait que six ans. Il avait certes le cerveau endommagé, il apprenait moins vite que les autres mais il témoignait d’une volonté de fer. Et il a laissé plein de souvenirs dans les histoires que se transmet la famille.

Cet Henri est indissociable d’un autre Henri, de neuf ans lui, que la narratrice rencontre pour la première fois quand elle a onze ans. A la séparation de leurs parents, elle et son frère suivent leur mère qui s’installe en Afrique avec le père de ce garçon bizarre: une mâchoire prognathe, très maigre, l’esprit au ralenti mais combien attachant. Le « Petit Henri », malgré sa fragilité et sa lenteur, malgré ses phrases apprises par cœur, dégage une incroyable impression de force. Un demi-frère aux fous-rires fréquents et communicatifs, capable d’attendre comme personne, concentré d’amour.

Ecrivain rare et précieuse, Florence Seyvos raconte ces découvertes mutuelles avec douceur. Elle ne hausse pas le ton quand elle dévoile la pensée éducative du père d’Henri: « Les enfants, il faut les casser. » Elle précise seulement que « Henri s’est cassé tout seul, quelques heures après sa naissance. C’était un beau bébé dodu de plus de trois kilos. Et tout d’un coup, un vaisseau s’est rompu dans sa tête. » Ah, la petite musique de ses mots…

Une fois ses personnages installés, l’auteure lance véritablement son roman où passent et repassent Joseph dit Buster Keaton, autre petit être incassable dont on suit le parcours d’enfant et d’artiste de music-hall, plus tôt dans le temps, et Henri, qui grandit et est peu à peu pris en charge par d’autres que son père. La famille de la narratrice s’installe au Havre, Henri l’accompagne. Pas de justification à cette mise en parallèle par opposition, heureusement. Jamais la romancière n’élève la voix dans son livre. Elle consigne des faits, relate des événements, tresse des vies qui se répondent en pleins et creux. Elle montre l’immense solitude de l’un et de l’autre et, l’air de rien, permet à sa narratrice de mieux se connaître, d’accéder au secret que semblaient détenir Buster et Henri, de contrôler ses peurs.

« Le garçon incassable » est un roman tendu sous son apparence calme. Superbement conduit, il cultive l’art d’écrire au plus près de personnages en perpétuelle évolution, tient constamment en haleine tant les héros de papier sont présents et avides de vivre, chacun à leur façon. Avec une infinie délicatesse, Florence Seyvos rappelle que les perdants ne sont pas toujours ceux qu’on croit. Au contraire, fine observatrice, elle dévoile l’humanité, la force et l’amour de ces êtres différents qui croient en eux. Et rend de plus en plus présente sa narratrice, appui de deux êtres cassés, être fragile qui trouve son chemin et donne elle-même la vie à un enfant. Il faut se laisser bercer par ce beau roman, sans chercher à comprendre de façon cartésienne les mystères des associations de la romancière. Elle mène le lecteur dans son texte et ses surprises sans le lâcher. Ce livre discret a été un des meilleurs romans du printemps 2013.

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