Dans « Le Livre des secrets », publié pour la première fois en 1987, Fiona Kidman raconte les pérégrinations authentiques de quelques paysans d’Ecosse qui, sous l’influence d’un pasteur laïc, ont quitté leur terre natale en 1817 pour aller s’installer à l’autre bout du monde, en Nouvelle-Zélande, après une errance qui aura duré plus de trente ans. La romancière narre cette odyssée singulière et incroyable sur le mode de la saga familiale polyphonique.
La voix de Maria, petite-fille de la pionnière Isabella, ouvre et clôt le roman en 1953. Mise au ban de la société néo-zélandaise cinquante ans auparavant, Maria est dépositaire de la mémoire familiale, et nous conduit dans ses méandres, non sans mélanger parfois filiations et temporalités.
Sa grand-mère maternelle a fait partie de la vague d’émigrants écossais qui ont suivi celui qu’on appelle « L’Homme », un certain Norman McLeod, guide spirituel autoproclamé, nouveau Moïse capable de mener des familles entières sur les mers en leur annonçant la terre promise au bout du périple. Mais celui-ci dure plus longtemps que prévu et ne se termine qu’en 1854, en Nouvelle-Zélande. Isabella devient veuve lors d’une première tentative d’installation en Amérique, et, après maintes épreuves, elle se retire dans une grotte avec son fils, où elle subvient seule à leurs besoins. Elle apprend alors à pêcher, à chasser, à cultiver les plantes qui nourrissent, celles qui soignent… Esprit rebelle, elle brave les ouailles de McLeod qui ne voient en elle qu’une païenne. Cependant le voyage n’est pas fini pour elle non plus, qui se laisse persuader par le chef charismatique de le suivre vers d’autres terres. Mariée en secondes noces à un thuriféraire aveugle du leader misogyne, elle donne naissance à une fille, Annie, cependant que McLeod acquiert de plus en plus d’emprise sur les esprits, s’attribuant les fonctions de législateur, de juge, d’apôtre en croisade contre le péché d’orgueil qu’il fustige chez les femmes, réduites à leur fonction procréatrice.
Annie grandit endoctrinée, et c’est ainsi qu’elle se marie le moment venu, pour satisfaire les commandements de Dieu relayés par le guide autoritaire. Lorsqu’elle donne à son tour le jour à une fille, Maria, elle l’enferme dans un carcan moralisateur et rigoriste qui se révèlera sans effet puisque la jeune fille s’entiche d’un cantonnier et se retrouve enceinte, désignée à la vindicte familiale. Interdiction lui est faite de sortir de la maison qui devient une prison où on l’oublie pendant des dizaines d’années. Pliant sous ce châtiment inconcevable, Maria, la « sorcière de Waipu », détenue résignée sans barreaux, va vivre dans l’ostracisme et la solitude, cultivant son jardin, parlant avec les oiseaux, ignorante des tumultes du monde qui s’accélère, lisant et relisant les journaux intimes et les lettres de sa grand-mère morte, dont elle recompose la vie et apprend les secrets des femmes qui guérissent.
Fiona Kidman brosse le portrait de trois femmes puissantes, dont les aventures collectives se doublent d’un combat pour la liberté. Derrière la statue de « L’Homme » seul, elles se dressent, unies par les histoires et les secrets qu’elles perpétuent, conscientes de détenir le pouvoir suprême, celui de donner la vie et de la préserver.