Dulce Maria Cardoso est un auteur portugais. Née en 1964, elle a passé son enfance en Angola, qu’elle a dû quitter lors de l’Indépendance en 1975. Dans son dernier roman, justement intitulé Le Retour, elle donne la parole à un adolescent qui raconte le rapatriement de ces colonisateurs chassés de leur pays d’adoption et intrus dans leur propre pays, la métropole.
Rui le narrateur, son père, sa mère et sa sœur Milucha sont sur le départ. Les valises sont bouclées, et ils prennent un dernier repas dans leur maison en Angola, le cœur serré : dans quelques heures ils prendront l’avion pour rejoindre la métropole car les Noirs ont obtenu l’indépendance de leur pays et ne veulent plus des Blancs chez eux. Rui et sa famille sont parmi les derniers à partir, ayant espéré jusqu’au bout un retournement de situation, mais cette terre qui leur appartenait, et pour laquelle ils avaient travaillé dur, leur est bel et bien confisquée. Des vies entières bâties sur de la sueur et des compromis s’écroulent, et en quelques mois c’est le chaos, la résignation et la fuite, l’abandon forcé des maigres ressources d’une génération. Rui, avec ses mots d’adolescent révolté, raconte l’humiliation et l’arrestation de son père par les rebelles, et la fuite précipitée avec sa mère et sa sœur, à l’aide de leur oncle homosexuel et indépendantiste proclamé qui promet de donner des nouvelles, mais dont on perdra le contact sitôt montés dans l’avion.
L’arrivée dans la métropole grise et froide, qui leur fait la charité d’une chambre dans un hôtel « cinq étoiles » réquisitionné pour l’occasion, en attendant mieux, est un choc. Le Portugal tellement idéalisé de loin leur fait perdre leurs dernières illusions. Ici, les gens sont différents et inhospitaliers, il faut endurer leurs moqueries, les files d’attente pour la distribution des repas et des vêtements chauds de seconde main. Les sentiments nostalgiques de déracinement et d’arrachement au pays natal habitent tous les rapatriés déclassés qui se consolent vainement en se rappelant que tout était mieux « là-bas », qu’on avait au moins une maison, un travail, que la nourriture avait plus de goût, la mer était plus chaude et le soleil plus brillant. Du haut de ses quinze ans, Rui endosse le rôle d’homme de la famille, oscillant entre les responsabilités d’adulte et les premiers émois amoureux d’adolescent. Réfugié sur le toit de l’hôtel, il fume cigarettes sur cigarettes, pense à son père resté aux mains des Noirs, s’inquiète pour sa mère dont les nerfs malades se détraquent chaque jour un peu plus, et s’interroge sur le comportement de sa sœur, devenue honteuse de ses origines. Il s’agit maintenant de s’inventer une nouvelle vie, de tout recommencer à zéro, de trouver la force d’avoir des projets, parce qu’il faut se rendre à l’évidence d’une situation irrémédiable.
A travers cette voix tantôt rebelle et désespérée, tantôt amusée et naïve, Le Retour raconte avec réalisme la condition des exilés indésirables partout, en même temps que l’adolescence, ce moment de transition délicat, passage du monde de l’insouciance à l’âge d’homme. L’arrachement des origines est aussi arrachement à l’enfance, passage d’une culture à une autre et à une adaptation nécessaire à la survie.