Sous une chaleur écrasante, Alice est assise sur le talus auprès de sa soeur ainée qui lit un livre sans image ni dialogue. Fatiguée de ne rien faire, l’ennui la guette… Soudain, la fillette voit passer devant elle un lapin blanc, sortant de son gousset une montre. L’animal semble courir après le temps. Par une impulsion naturelle, voilà qu’Alice se lève et emboîte le pas du lapin qui s’élance dans un terrier. Ni une ni deux, elle saute à son tour dans ce trou interminable… Une chûte si longue qu’elle a l’impression de se rendre de l’autre côté de la terre, aux antipodes. Alice ne le sait pas encore, mais le monde dans lequel elle est en train de glisser est infiniment bizarre.
Il faut dire que la petite fille est issue de la bourgeoisie victorienne où la rigueur est de mise. Malgré son étourderie, sa curiosité, son enthousiasme et son caractère rêveur, Alice est polie, sérieuse, cultivée, et observe les règles de la bienséance.
En se laissant tomber dans le terrier du lapin blanc, elle va perdre progressivement tous ses repères. Les personnages, des animaux pour la plupart – un chat, une tortue, un ver à soie, un lièvre de Mars, une souris… – qu’Alice va rencontrer tout au long de son chemin sont merveilleusement étranges. Certains ont des propos confus, d’autres disparaissent et apparaissent en un éclair, ils agissent de façons incongrus, parlent beaucoup.
La mémoire d’Alice lui joue des tours, les poèmes qu’elle connaissait jusqu’ici par coeur se sont envolés. Elle discute avec elle-même, se pose des questions et tente d’y répondre. De géante à minuscule, elle passe d’un état à un autre sans cesse perdant ainsi son identité propre.
Ce monde semble complètement déréglé, contradictoire, absurde, illogique : le non-sens règne. Le lapin blanc est constamment en retard, pour le Chapelier il est toujours l’heure du thé, la reine de coeur d’une terrible cruauté envoie régulièrement ses sujets se faire couper la tête, Alice manque de se noyer dans une mare emplie de ses larmes, le ver à soi fume, le chat s’efface, les dialogues de sourd s’enchaînent, les poèmes et autres jeux de mots s’empilent… La déraison envahit Alice.
Un magnifique conte où l’auteur prend un certain plaisir à dénoncer la société dans laquelle il vit, renversant les règles établies. Si les aventures délirantes d’Alice font beaucoup rire, elles poussent également à la réflexion. Et puis, cette édition-là est très belle (réédition à l’identique par Grasset Jeunesse de l’album paru en 1974) : les illustrations de Nicole Claveloux transportent littéralement le lecteur dans le monde que décrit Lewis Carroll si bien traduit par Henri Parisot.
Retrouvez Nadael sur son blog