critique de "Les Corps inutiles", dernier livre de Delphine Bertholon - onlalu
   
 
 
 
 

Les Corps inutiles
Delphine Bertholon

Le Livre de Poche
février 2015
352 p.  7,30 €
ebook avec DRM 13,99 €
 
 
 
 Les internautes l'ont lu
coup de coeur

Le magistral récit d’une reconstruction

Clémence, chevelure rousse flamboyante et yeux vairons, est, à ceci près, une adolescente comme les autres lorsque tout bascule. Dès lors, elle rêve à l’impossible – revenir au temps d’avant la catastrophe. Et les années passent. A trente ans, la narratrice ne survit que par le désir des autres, celui des hommes en particulier, qu’elle valide le 29 de chaque mois. Clémence, expatriée de son propre corps, souffre d’un coma sensoriel. Son agresseur a durablement pris ses quartiers au fond de sa conscience. Les choses resteront toujours ce qu’elles sont, croit-on. C’est compter sans quelque bienveillance, une ou deux bonnes rencontres qui viennent contrebalancer la mauvaise, et une certaine envie de vivre, peut-être inavouée. Peu à peu, à mesure que la culpabilité disparaît, Clémence redevient humaine sous les yeux du lecteur fasciné. « Les corps inutiles » est un roman à la fois dense et aérien. L’écriture riche et imagée, presque cinématographique, de Delphine Bertholon, nous entraîne à un rythme trépidant au cÅ“ur d’un parcours initiatique au bout duquel il faudra bien se pardonner. Un chemin que l’on fait aux côtés d’une formidable héroïne, à la personnalité détonante, aux fragilités inoubliables. Une renaissance enfermée dans un livre qu’on ne lâche pas. « Les corps inutiles » est le magistral récit d’une reconstruction, d’un combat pour retrouver sa place dans le monde. Et une nouvelle preuve qu’on ne peut aimer que lorsqu’on a cessé de se haïr. Retrouvez Sophie Adriansen sur son blog

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nuit blanche

Les corps inutiles… et le chemin vers l’utile

La première réussite de ce roman tient à sa scène d’ouverture, à cet acte fondateur qui va conditionner tout le récit. La jeune Clémence, quinze ans, se rend chez ses amis pour fêter la fin de l’année scolaire. En chemin, un homme se jette sur elle et la menace d’un couteau. Agressée sexuellement, elle parviendra cependant à éviter le viol et à s’enfuir. Mais le mal est fait. Plus psychologique que physique, le traumatisme est d’autant plus grand qu’il ne peut être partagé. Que personne ne pourra la comprendre: « avouer l’agression, dans cette famille-là, ce serait se condamner à perpétuité. (…) Ce serait crever d’ennui et la minijupe éternellement bannie – j’étais en jean, bordel ! –, ce serait le père hagard s’abreuvant de pilules et la famille nombreuse tout entière au courant, sans exception. (…) À tout jamais victime, à tout jamais coupable, à tout jamais salie.» Elle survit plus qu’elle ne vit. Elle ne comprend plus son corps. Ne ressent plus rien : «Cette fille rousse dans la glace, ce n’était pas Clémence Blisson, quinze ans ; c’était quelqu’un d’autre. Quelque chose d’autre, pensa-t-elle subitement. L’idée la fit frémir.» La solution viendra-t-elle de l’éloignement, d’une autre vie loin de cette ville, loin de ces amis qui ne la comprennent plus, loin de ces parents qui n’ont toujours rien compris ? « À l’aube du XXIe siècle, j’avais donc signé un prêt à taux exorbitant, bouclé mes valises, fait hurler ma mère, enrager mon père, pleureur ma sÅ“ur, et je m’étais retrouvée élève de l‘ITM – l’Institut technique du maquillage. J’y passai deux années très enrichissantes, qui me formèrent surtout à une habileté quasi miraculeuse pour une fille dans ma condition – je réussis même à décrocher le permis de conduire. J’habitais une chambre de bonne de neuf mètres carrés près de la Contrescarpe, dont je payais le loyer grâce à un mi-temps dans la boutique Yves rocher de la rue de Rivoli – un enfer plein de peaux mortes, d’épilations anales et de pieds d’athlète.» Douée, Clémence va réussir ses études et trouver un travail de maquilleuse pour le cinéma. Mais ne va pas guérir pour autant : «Je m’envoyais en l’air, n’importe où, n’importe quand, n’importe comment, avec n’importe qui. À l’époque déjà, je ne donnais jamais suite, mais je n’avais pas encore instauré  » la règle du 29 « Â». La règle du 29 est une sorte de rituel. À la date anniversaire de son agression, elle s’habille de façon provocante et offre son corps à tous. Car, comme le souligne le titre du roman, il lui est inutile. Le sexe comme punition. Mais il reste l’espoir qu’un jour, «il y en aurait un – un différent des autres – qui lèverait l’anathème comme dans les contes de fées. Un jour j’aurais mal pour la première fois, ma peau ressusciterait et je serais sauvée.» Après l’épisode raté avec Tristan, scénariste du deuxième long-métrage sur lequel elle a travaillé, et qui fut à l’origine de la règle du 29, elle va chercher à briser le mauvais sort en fuyant à nouveau. Elle retourne dans le Sud, est engagée comme dessinatrice-maquilleuse dans une usine de poupées gonflables, et voit un jour débarquer Damien Coperey, un policier qui n’a pas perdu l’espoir de mettre la main sur son agresseur. Son «premier sauveur» va lui permettre do sortir la tête de l’eau. De comprendre que «la certitude d’être une abomination» n’a rien d’irrémédiable. Delphine Bertholon va même parvenir à renverser complètement les choses. Le seconde réussite de ce roman tient en effet dans sa conclusion. Résilience, volonté de s’en sortir, combat pour la liberté. Peu importe comment on appellera l’évolution de Clémence, on ressortira ragaillardi de ce roman.

Retrouvez Henri-Charles Dahlem sur son blog 

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