Melanie Benjamin raconte une histoire d’amour inattendue entre un cygne et un vilain petit canard. Le cygne s’appelait Babe Paley, une « socialite » richissime comme il se doit, somptueuse, qui considérait l’élégance comme un travail à plein temps. Elle était également adorable, généreuse, soucieuse des autres. Le canard, lui, avait pour patronyme Truman Capote. Il était écrivain, auteur d’un livre devenu mythique,« De Sang froid », inventeur de la littérature non fictive, et grand ragoteur devant l’éternel. Il ressemblait à une sorte de clown triste qui amusait sa galerie de cygnes (comme il les avait surnommées), car la ravissante Babe était entourée de dauphines, tout aussi riches, tout aussi chics, mais certainement moins bienveillantes.
Un suicide social
Le cygne Babe et le canard Truman étaient inséparables, chacun comblant le vide affectif de l’autre. Le mari de Babe, qui était souvent occupé à butiner ailleurs, regardait cette amitié d’un œil amusé puisqu’il savait que sa femme ne risquait pas de perdre sa réputation, Capote préférant notoirement les hommes. Le cygne et le canard passaient leurs journées à nager dans un New York de rêve, leurs discussions se poursuivant parfois tard dans la nuit. Et puis un jour le canard fit un truc insensé. Il commit un suicide social, qui fut presque un suicide tout court car il mourut peu de temps après. En manque de célébrité peut-être, et le scandale est un moyen comme un autre de l’obtenir, il publia une nouvelle dans le magazine Esquire (que vous pouvez trouver aujourd’hui dans le Quarto consacré à Capote et dont je vous recommande vivement la lecture), « La côte basque 1965 », dans laquelle il rapportait bon nombre de confidences de son cygne chéri et de ses amies, et surtout s’amusait des infidélités dont sa chère Babe était la victime, avec détails croustillants et crapoteux à la clé. A partir de la minute de la parution du magazine, il fut banni de la bonne société new yorkaise et ne fit plus que croiser ses cygnes, qui l’ignoraient superbement.
Une comédie humaine new yorkaise
A travers ce drame intime, cette incompréhensible trahison qui eut des conséquences terribles pour tous les protagonistes, Melanie Benjamin raconte le New York des années cinquante-soixante, une comédie humaine chez les rich and famous, very rich même. Elle décrypte cette société, avec un mélange de distance et de fascination. C’était un monde en soi, avec ses propres règles, ses failles, son indolence, mais aussi son charme. Le roman de Melanie Benjamin est un bonheur de lecture, et comme pour tous les bonheurs, on aurait aimé qu’il dure beaucoup plus longtemps.