C’est un des auteurs américains les plus doués de sa génération. Comme Jonathan Franzen ou Jeffrey Eugenides, entre parenthèses tous deux traduits comme lui chez L’Olivier, il sait ausculter tout un pays à travers une histoire privée, mais Stewart O’Nan possède ce talent si particulier de l’ellipse, de la suggestion, un humour bien à lui, une empathie avec ses personnages et un don pour écrire sur plus âgé que lui. Au cœur de son travail : la vie désertique des femmes de la middle-class.
Marion a épousé Art qui était amoureux d’elle. Ils étaient jeunes, ils ont eu deux enfants, un garçon et une fille. Marion a voulu une belle maison et Art a travaillé dur pour la lui payer. Puis Art a trompé Marion avec Wendy et Marion s’est battue pour garder son mari, mais ensuite elle n’a plus vraiment su quoi faire de lui. Vingt ans après, il tente toujours de se faire pardonner cet adultère honteux, alors que le souvenir de Wendy, secrètement, le poursuit. Et puis les enfants sont partis vivre leur vie, la crise de 2008 est arrivée, Art a été licencié, Marion aussi, et maintenant il va falloir vendre la belle maison. Ils doivent même divorcer pour tenter de sauver les meubles. Alors les voilà en voyage au Canada, pour jouer au Casino et tenter de se refaire. Les chutes du Niagara, ils y étaient venus quand ils étaient jeunes.
Drôle de week-end, raté parce que glacial, où chacun réfléchit dans son coin à leur vie de couple et leur jeunesse perdue. S’aiment-ils ? Sûrement, mais ils ne savent plus comment se le dire. Marion se raidit dès qu’Art s’approche. Il a l’impression d’avoir toujours tout raté. Derrière eux, une certaine Amérique, si confiante dans les années soixante et soixante-dix, qui se réveille avec la gueule de bois.
Ce livre est dans la droite ligne des précédents ouvrages de Stewart O’Nan, presque tous disponibles en poche aujourd’hui. Toujours de merveilleux textes où la subtilité des sentiments est auscultée avec bienveillance par l’auteur, qui ne nous raconte jamais entièrement la vie de ses personnages, en ménageant des zones d’ombre, ce qui lui évite de tomber dans la démonstration, l’explicatif, la surcharge. Dans « Emily » (2012), il se faufilait dans la peau d’une veille dame, qui vivait toute seule dans un lotissement. On se souvient aussi de « Chanson pour l’absente » (2010), qui décrivait avec justesse la vie d’une bande de jeunes coincés dans une banlieue verte et ennuyeuse, et le huis clos de « Les joueurs » n’est pas sans rappeler « Nos plus beaux souvenirs » (2005), quand une mère âgée réunissait pour un week-end ses enfants et petits-enfants dans le cottage familial, juste avant qu’il ne soit mis en vente. Toujours, O’Nan, décrit la fin d’un monde, celui du mythe américain, la vacuité de la vie bourgeoise, la tristesse des couples. Mais il le fait sans aigreur, laissant une chance à ses personnages.