Les partisans
Aharon Appelfeld

traduit de l'hébreu par Valérie Zenatti
Points

330 p.  7,40 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Le chant d’Aharon Appelfeld

L’auteur d’ « Histoire d’une vie » (prix Médicis étranger 2004) et plus récemment du « Garçon qui voulait dormir », tisse ses romans avec les fils de ses souvenirs d’enfance. Edmund, le narrateur des « Partisans », est ainsi le double mémoriel d’Aharon Appelfeld.   

Des ombres s’enfoncent silencieusement dans les forêts marécageuses ukrainiennes, environ un an avant la percée de l’Armée rouge sur le front Est. Pour Edmund, dix-sept ans, une éternité s’est écoulée depuis sa vie de lycéen. La folie meurtrière nazie en a fait trop tôt un adulte qui, après s’être enfui du ghetto, a été recueilli par un groupe d’une quarantaine de clandestins, en majorité des hommes, mais aussi des femmes et des enfants. Parmi ces persécutés, des Juifs religieux, des athées, des communistes, des déserteurs, qui tous se cachent pour échapper à la mort, mais refusent d’être réduits à l’état de fugitifs. Survivre et combattre, tel est leur mot d’ordre. Le journal que tient Edmund progresse au rythme de l’avancée des partisans vers la cime d’une montagne, véritable acmé topographique et spirituel, après quoi ils engagent la phase de libération en faisant dérailler les trains qui emmènent les Juifs vers les camps de la mort. Sous la conduite de Kamil, leur chef charismatique, véritable Moïse des temps de guerre, tous participent à l’effort de résistance. Ils mènent des opérations de ravitaillement, usant du pillage comme une nécessité légitime ; la nourriture, les armes, les vêtements chauds mais encore les livres sont leurs moyens de survie. Soucieux de conserver leur humanité, les partisans ne se limitent pas à tendre des embuscades, leur temps se partage entre l’action et la réflexion. Ainsi, les lectures de poèmes, les récits et les débats ont toute leur place, l’apprentissage de l’hébreu aussi, comme un coup de l’intellect porté à l’adversaire. Cependant, la prière n’est pas érigée en commandement, et le judaïsme, cause première des persécutions, fait l’objet de controverses. Le garçon consigne ses sentiments, ses observations pudiques, la mélancolie qui souvent l’étreint. Il décrit avec empathie et générosité ceux qui donnent au groupe sa cohésion : Tsila, la cuisinière prodigieuse, Tsirel, la grand-mère bienveillante et la mémoire de tous, Milio, l’orphelin muet de deux ans… Tous forment une famille qui s’agrandit au fil des mois et des victoires.

Cette écriture à fleur de peau est touchée par la grâce des impressions et des réminiscences. Si la forme du journal est intime, les rêves, les regrets, le va-et-vient constant entre l’observation et le repli en soi atteignent à l’universel. La beauté et l’actualité du roman résident dans le fait qu’il avance toujours sur la crête du doute, s’interrogeant sur l’essence de l’humanité. Etre un homme, ce n’est pas savoir se servir d’une arme, c’est discerner le sens de ses actions, les causes et les fins, c’est continuer à lire et à écrire quand tout menace, parce que l’art est la lumière que la barbarie veut étouffer, toujours et partout.

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