Saisons de Louveplaine (les)
Korman Cloe

Points
août 2013
349 p.  7,60 €
ebook avec DRM 7,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Le roman de la banlieue

Septembre, octobre, novembre, décembre… Les mois s’égrènent à Louveplaine, ville imaginaire de Seine-Saint-Denis, dans le 93. C’est ici, au milieu des barres et des tours en béton que débarque Nour, une jeune Algérienne. Depuis trois ans, elle attendait de rejoindre son époux en France. Séparés, ils vivaient leur relation à distance. Hassan revenait tous les étés en Algérie, lui promettant, à elle et sa fille, une vie tranquille dans un appartement de banlieue. Il est reparti, une énième fois, mais n’a bientôt plus donné de nouvelles. Désemparée, Nour atterrit sur le sol français, avec pour seul espoir, une clé, celle de l’appartement d’Hassan. Mais rien de ce qu’elle avait imaginé jusqu’alors n’est conforme à la réalité. Au quinzième étage d’une tour HLM- la tour Triolet- elle ouvre sur un logement quasiment vide. Hassan a disparu. La vérité s’impose déjà d’elle-même : il lui faut, à tout prix et au péril de sa vie, le retrouver.

Peu à peu, Nour apprend à survivre, à s’adapter à cette ville inhospitalière et inquiétante. Elle découvre la vie cachée d’Hassan, son trafic, son quotidien déréglé. Les saisons se succèdent, au rythme de ses rencontres – Sonny, un adolescent paumé, Soufia, une infirmière de nuit, qui trime une semaine sur deux pour élever ses enfants-, au bruit des voitures, à la puanteur, au dégoût. Petit à petit, Nour recommence à vivre, sans lui. Mais le souvenir d’Hassan est toujours là, comme une petite voix entêtante et vivace, un feu de forêt qui ne veut pas s’éteindre. Tous le connaissaient mais tous ignorent où il se cache, lui le chef de bande, le trafiquant. Sonny sait quelque chose, la jeune femme en est sûre. Mais quoi ? Tantôt amical tantôt menaçant, elle hésite toujours entre le tuer ou le réconforter. Il est son unique chance, son minuscule indice, le dernier chemin vers Hassan.

Peu à peu, donc, Nour recommence à vivre. À mesure que s’écoulent les heures dans Louveplaine, son regard sur la banlieue se fait plus indulgent. Et c’est bien ce à quoi aspire Cloé Korman : à ce que le lecteur rende ce lieu, au départ écoeurant, finalement vivable. C’est un monde qui s’observe et qui s’épie. Ici la mort côtoie la vie, mais avec détachement, et on devient dingue à force de chercher la faille. Si la violence est partout -dans les halls d’immeubles, les cages d’escaliers et les caves infectes où l’on fait combattre des chiens enragés jusqu’à la mort- l’auteure parvient à diriger le récit vers un avenir plus lumineux peut-être, en tout cas moins sombre. Elle pose un regard tendre sur des lycéens qui font le mur ou bien l’école buissonnière. Elle tente une percée, un mince rayon de soleil sur du béton armé.

Car comment décrire le 93, hyper médiatisé, où l’on a déjà enquêté, interrogé, parfois même vécu, partagé ? L’auteure ne veut pas d’un documentaire, ni d’un récit de faits, mis bout à bout dans l’espoir d’y déceler une vérité, si fragile soit-elle. Cloé Korman choisit de raconter la banlieue, de dire ce qui n’est déjà plus audible à peine passé la barrière du périph’, où les immeubles sont des « supérettes clandestines pour jeunes empereurs qui stockent la résine au kilo et te la revendent en petits sachets Ziploc de congélation ». Et c’est là toute la nuance. Son combat, c’est le cliché de la langue, l’a priori du lieu. C’est la guerre contre les médias qui tentent, en vain, une approche presque sociologique de la cité. Il y a quelque chose de poétique dans ses mots, et dans son écriture, une originalité presque inégalable, quand ses phrases enflent comme le grondement sourd de la « zone ». Elle fait de la banlieue une formidable entreprise fictive, un roman extrêmement dense, et c’est bien là le tour de force : rendre un lieu bien réel en lui prêtant des récits fabriqués. Elle nous fait prendre conscience d’une chose : que l’Histoire se raconte encore mieux avec des histoires.

partagez cette critique
partage par email
 Les internautes l'ont lu

Lucidité

Un roman. Un roman qui regarde, observe. Un roman qui rapproche des autres. Celles et ceux qui sont à peine tolérés, celles et ceux qui survivent dans des conditions particulièrement précaires dans ces banlieues qui ne se visitent pas, ces banlieues qui se contournent afin de s’éviter l’affligeant spectacle de la misère.

Nour s’en vient d’Alger jusqu’à Louveplaine pour tenter de retrouver Hassan, son mari, dont elle est sans nouvelles depuis plusieurs mois. Nour s’installe dans l’appartement où il vivait, dont il lui avait confié la clé, à l’intérieur duquel, de toute évidence, il n’a plus remis les pieds depuis fort longtemps. Nour entame ses recherches dans cette ville du Neuf Trois si proche de Paris. Une banlieue, avec ses tours, ses barres d’immeubles, ses presque ruines dans lesquels s’entassent les damnés de la terre condamnés à vivre d’expédients. Dont les trafics. Dont les combats de chiens qui sont l’objet de paris desquels les meneurs tirent de substantiels profits. Nour effleure une faune installée en marge d’une société qui ne veut pas d’eux. Nour vit son quotidien parmi les pauvres qui lui concèdent le peu dont ils se privent. Sa quête est difficile. Les langues peinent à se délier.

Voilà un beau roman plein de chaleur humaine, un roman qui met en évidence que les Autres ne sont que le reflet de ce que nous sommes. Un roman qui s’engage, un roman qui dénonce, un roman qui prend parti, le parti des damnés de la terre. Un roman peuplé de personnages à l’échelle humaine. Nour, bien évidemment, cette jeune femme confrontée brutalement à la violence larvée qui suinte de notre société. Soufia, la proche voisine qui l’accueille, l’assiste, lui fournit ses premiers repères. Sonny, cet étrange garçon qui fréquenta Hassan, Sonny qui la guide et l’égare, la rassure et l’inquiète. La prof qui n’a pas renoncé, qui se débat pour tenter de sauver du naufrage quelques-uns des gosses dont elle assume la charge.

Tout ce monde-là se retrouvera pris dans le tumulte de la révolte consécutive à l’accident dont sera victime Sonny. Un accident provoqué par une voiture de police. Des flics eux-mêmes perdus dans cette sorte de non-monde, où prévaut la loi du plus fort. « Les Saisons de Louveplaine » offre non seulement un reflet pertinent de ce que sont devenues les banlieues mais dresse aussi un acte d’accusation à l’encontre de toutes celles et tous ceux qui n’ont rien entrepris pour mettre fin à ce qui est pire que la ghettoïsation, la déshumanisation.

partagez cette critique
partage par email