William Bellman a 10 ans quand il tue un corbeau freux avec son lance-pierre. Entouré de son cousin Charles, héritier des manufactures Bellman, et de deux amis, Luke, qui en qualité de cadet d’une famille d’ouvrier n’héritera de rien, et Fred, fils du boulanger. Cette aventure ne semble perturber que Luke, voué une vie d’alcoolique, hanté par cette mort.
William, au contraire, va embrasser la carrière qu’aurait dû avoir Charles et prendre sa place à la tête de la manufacture, contre la volonté de son grand-père (je laisserai les lecteurs découvrir pourquoi), pendant que son cousin peut s’adonner pleinement à sa passion pour la peinture. William transformera la manufacture en une mine d’or (au sens figuré) financière. Il se mariera, aura quatre enfants, connaîtra une vie et une réussite dont il se fiche éperdument.
La seule chose qui intéresse William, ce n’est pas sa famille, encore moins lui. William n’est motivé que par les challenges procurés par l’entreprise qu’il gère et le fait de résoudre un à un tous les problèmes qui se dressent devant lui. Notant, inlassablement, dans des petits carnets tout ce qui a trait à la manufacture, il couche noir sur blanc des problèmes intangibles pour leur donner la matérialité nécessaire à leur résolution.
Poussant le travers jusqu’à noter ce qui concerne sa vie privé (donner un penny à sa fille, l’embrasser,…), il déshumanise tout ce qu’il entreprend, tout ce qui le concerne jusqu’à devenir étranger à sa propre vie et à sa propre mort.
A l’occasion d’enterrements successifs, William rencontre un homme au manteau noir, énigmatique, d’abord distant puis plus entreprenant jusqu’au jour où il aborde William et lui parle d’opportunité en montrant un cimetière. William y voit uniquement une opportunité d’affaire et crée à Londres le premier supermarché de la mort, une pompe-funèbre à grande échelle, capable d’habiller en moins d’une semaine toute une maisonnée en deuil.
Pendant des années il va se donner corps et âme à ce projet, délaissant la seule fille qui lui reste, la seule à même de comprendre qui il est, celle-ci bénéficiant d’une sensibilité artistique au même titre que le cousin de William et connectée en quelque sorte au mystérieux homme au manteau noir qu’il appelle Mr Black.
Teinté d’une aura fantastique, ce livre montre deux choses essentielles : qu’il faut aller au bout de ses rêves, de ses obsessions, mais surtout ne jamais oublier que l’essentiel réside dans sa famille, dans ses proches. William a beau être un homme brillant, il n’en est pas moins austère et avant tout étranger aux autres et donc à lui-même.
La première partie du livre est le récit de l’enfance de William, de la construction de ses obsessions et son avènement à la tête de la manufacture et jusqu’à la rencontre avec Black. La seconde partie parait plus longue narrant la mise en place du supermarché de la mort de William, son ouverture, son ascension et son déclin, en courbe, telle la trajectoire d’une pierre fonçant vers un corbeau freux… Elle est plus sombre que la première partie, plus mystérieuse dans la mesure où les plans de Mr Black restent longtemps obscurs aux yeux du lecteur. Ce flou « artistique » nimbe le livre d’une aura de conte dont le lecteur est seul responsable de la lecture morale de la chute qu’il pourra en tirer.