Le Mois Anglais, édition 2015, dans la blogosphère, nous incite à relire des classiques.
Nous y encourage, devrais-je dire.
Car il faut bien avouer que se plonger dans un classique , c’est renouer avec la phrase longue, le vocabulaire soutenu, les descriptions, et ici les références bibliques ou mythologiques, bref une nourriture beaucoup plus riche que ce que la plupart des auteurs contemporains nous concoctent.
Point de jugement de valeur mais bien plutôt une comparaison culinaire 😉 les classiques ne font pas dans la nouvelle cuisine, cqfd.
Si la lecture d’un classique me fait souvent envie -et me semble même une piqûre de rappel tout à fait nécessaire- elle représente toutefois un petit effort pour la lectrice que je suis . Ici je suis venue par un chemin détourné car c’est « Tamara Drewe », Bd de Posy Simmonds, qui m’avait enchantée et donné envie de connaître le texte dont elle s’était très librement inspirée ; les éditions Sillage en ont fourni en 2011 une nouvelle traduction française et grâce à l’actualité cinématographique une réédition bienvenue vient d’être faite en poche.
» Loin de la foule déchaînée » est paru pour la première fois en feuilleton dans un journal populaire, tout au long de l’année 1874. Aussi le découpage en très courts chapitres allège et structure la lecture de ces quelques 400 pages. Fort heureusement car c’est très bavard tout de même !
L’histoire :
dans la campagne anglaise, vers la fin du XIXe siècle, une jeune femme d’une grande beauté et au caractère décidé et parfois fantasque, Bathsheba Everdene, hérite d’une importante exploitation agricole. Contre toute attente, elle décide de gérer seule son domaine et de diriger fermement les travaux de ses nombreux journaliers.
Elle réussit dans sa nouvelle tâche, bien conseillée par un éleveur ruiné, Gabriel Oak, qu’elle avait jadis éconduit. Celui-ci aime toujours Bathsheba, mais la jeune femme est courtisée par deux autres hommes, le propriétaire terrien voisin William Boldwood et le sergent Troy…
A propos de Gabriel Oak :
Il était à la période la plus brillante de la croissance masculine, car son intelligence et ses émotions étaient clairement séparées : il avait passé l’âge de l’impulsivité où l’influence de la jeunesse les mélange aveuglément, et il n’était pas encore arrivé à celui des préjugés, où ils sont à nouveau réunis sous l’influence d’une épouse et d’une famille . En bref, il avait vingt-huit ans et était célibataire (…)
il donnait l’impression d’un homme dont la couleur morale était une sorte de poivre et sel
Quand au fermier Bolwood :
…il ne savait pas lire dans les pensées d’une femme. Le fond de la stratégie érotique semblait consister en attentions subtiles, exprimées de manière trompeuse. Chaque geste, chaque regard, chaque parole et chaque intonation contenait une part de mystère tout à fait distincte de leur importance manifeste, et il n’avait pas pris le temps de chercher à les comprendre jusqu’à présent.
Echange avec le sergent Troy :
– Que regrettez-vous ?
– Que ma romance soit terminée.
– Toutes les romances s’achèvent avec le mariage.
Eh oui.
Il apparaît que les hommes ordinaires prennent des épouses parce que la possession n’est possible que par le mariage, et que les femmes ordinaires acceptent des maris parce que le mariage est impossible sans possession. Malgré ces desseins totalement différents , la méthode est la même des deux côtés.
Mais encore :
On a pu faire l’expérience qu’il n’existe pas de voie toute tracée pour sortir de l’amour, contrairement à celle qui permet d’y entrer. D’aucuns voient dans le mariage un raccourci pour y parvenir, mais il n’est pas infaillible.
Enfin , Bathsheba elle même :
Bathsheba était d’une nature impulsive, sous ses airs résolus. Véritable Elizabeth par l’esprit et Mary Stuart par l’âme, elle agissait avec une grande témérité, et beaucoup de discrétion. La plupart des ses pensées étaient de parfaits syllogismes ; malheureusement elles restaient toujours à l’état de pensées. Seules quelques une étaient des postulats irrationnels, et malheureusement c’étaient celles qui le plus souvent se transformaient en actes.
Bathsheba aimait X . comme seules peuvent aimer les femmes indépendantes, quand elles renoncent à leur indépendance. Quand une femme forte rejette sa force avec insouciance, elle est pire qu’une femme faible qui n’a jamais eu de force à rejeter. Une des sources de son malaise était la nouveauté de sa situation. Elle n’avait aucune expérience de ce qu’il convenait de faire. La faiblesse est double quand elle est nouvelle.
(…) Bathsheba ne se rendait pas coupable d’artifices en l’occurrence. Bien qu’elle fut en un sens une femme du monde, son monde était celui de coteries qui ne se cachaient pas, d’un tapis de verdure où le bétail représentait la foule des badauds et le bruit du vent son bourdonnement, où une paisible famille de lapins ou de lièvres vivaient de l’autre côté du mur mitoyen, où votre voisin vous était apparenté et où tous les calculs se rapportaient au jours de marché.
Ce monde rural est vraiment au coeur du livre , avec de splendides descriptions de la campagne anglaise et du mode de vie qui y prévalait alors . Les travaux des champs mobilisent toute la communauté, les aléas climatiques suscitent de nombreuses catastrophes et de belles pages : orages violents , incendies , inondations, tout y passe, et semble symboliser les émotions dévorantes des quatre protagonistes principaux.
Beaucoup de dialogues émaillent le texte. Il sont d’intérêt inégal à mes yeux, et souffrent peut-être parfois de la traduction qui semble les alourdir (beaucoup de scènes « pittoresques », plus ou moins réussies).
Ce qui m’a enchantée :
l’humour qui sous-tend bien des passages et leur confie parfois même un double sens ; c’est absolument délicieux et clairement so british.
Ce qui a parfois retenu mon enthousiasme :
quoi qu’on en dise, tout ce « maquignonnage » autour du mariage…
Je suis consciente que celui-ci restait encore avant tout un commerce social et une sorte de vente de soi-même, n’ayons pas peur du mot. C’est la raison pour laquelle (et je sais que je vais choquer !) je n’apprécie pas du tout Jane Austen, par exemple, qui se vautre avec délices dans toutes les manoeuvres que générait cette opération cruciale de la vie des femmes en particulier.Il y a là une hystérisation qui nous sidère un peu en 2015 et même si l’on peut -et on doit !- bien évidemment se remettre dans le contexte, on se sent gêné et attristé de ce que amour et épousailles ne rimaient que si peu souvent ensemble.
Retournons à la campagne avant de nous quitter :
c’était le premier jour du mois de Juin, et la saison de la tonte des moutons battait son plein. Tout le paysage, jusqu’au moindre pâturage, respirait la santé et n’était que couleurs. L’herbe était d’un vert nouveau, les pores ouverts, les tiges enflées par les sucs qui coulaient en elles. On pouvait voir Dieu partout dans la campagne et le diable était parti en ville .
:-))