Madame Bâ
Erik Orsenna

Le Livre de Poche
avril 2003
512 p.  8,70 €
ebook avec DRM 7,99 €
 
 
 
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Voyage en Afrique ?

Une envie de voyage ? Je vous emmène à la découverte du Mali et de l’extraordinaire Madame Bâ.

Son petit-fils de huit ans a disparu en France, enlevé de son pays le Mali par le ballon rond. Madame Marguerite Bâ née en 1947 au Mali introduit une demande de visa 13-0021 pour la France et écrit au Président de la République, le formulaire étant un peu étriqué, pour lui expliquer sa vie, son pays le Mali, le fleuve et ses motivations.

Le livre se découpe en chapitres au gré des rubriques de ce fameux formulaire 13-0021. On y découvrira la vie de Madame Bâ, représentante de l’ethnie des Soninkés, peuple attiré par l’envie du départ, les liens entre son pays et la France.

Elle nous raconte son grand-père : Abdoulaye Chemin des Dames, rescapé de la grande guerre. Son nom évoque une grande bataille dans l’Aisne en avril 1917 où périrent grand nombre d’africains engagés dans le combat pour soutenir la France. Rescapé oui, mais marqué, transformé, il reçoit une petite pension de guerre et tout à coup en 1960, celle-ci est gelée. L’incompréhension s’installe au gré de l’évolution des liens avec la France.

Elle évoque son père Ousmane , Soninké d’origine forgeron qui, contremaître à la centrale électrique, rêvait de devenir ingénieur, dévoué corps et âme à la centrale et aux Français.

Marguerite adolescente est partagée entre les études et l’amour. La rencontre de son beau peul Balewel l’obligeant à faire un choix, elle deviendra mère abandonnant ses rêves mais un jour elle, à son tour, se dévouera encore pour son pays et les relations avec la France.

Le roman nous fait découvrir les beautés et réalités de l’Afrique, le fleuve, les villages, la brousse, le chemin de fer, la vie des femmes celles qui travaillent, les rapports étroits entre le Mali et la France, la coopération et tant d’autres sujets.

Un portrait du Mali, de l’Afrique, un voyage dans lequel on se laisse emporter bien volontiers au fil des pages en compagnie de ce personnage Marguerite auquel on s’attache, ce personnage grand de taille et forte personnalité.

Quelques longueurs parfois mais l’envie de connaître le destin de Madame Bâ dominait. Un récit parfois poétique, très visuel empreint d’humour. J’ai vraiment passé un excellent moment.

Merci Natacha de m’avoir proposé cette lecture commune et de sortir enfin de ma bibliothèque un livre qui y avait trop traîné.

Ma note 8.5/10

Les jolies phrases

Qui sait du désert celui qui ne regarde qu’un grain de sable ?

Pour lui, plus rien n’avait d’âme, ni les choses, ni les humains.

La guerre est simple, Marguerite. Simple et triste. Les morts pourrissent. Les blessés saignent. Les survivants pleurent. Tu n’y peux rien.

La tristesse, c’est comme la poussière, Marguerite, il suffit de balayer à l’intérieur de la tête.

Abandonnés à eux-mêmes, les chiffres sont muets, les chiffres sont de petits morceaux de mort. Sans cesse, il faut les éclairer par les mots. Sinon ils vous entraînent dans leur silence.

Entre pays et nation, où passe la frontière ?

Nous savons trop de choses : le savoir nous cache la vérité ! Ma tête est encombrée comme un grenier. Je vais déblayer.

La parole est comme l’eau, Marguerite. Elle aussi rompt notre solitude. Elle aussi transporte toutes les richesses possibles et se faufile sous les carapaces les plus fermées.
– Il y a des saisons , dans la parole ?
– Bien sûr, il y a des crues. Et des sécheresses.
L’eau et la parole : nous sommes de ces deux pays.

Les maladies sérieuses, comme les amours véritables, acceptent de rester longtemps tapies, silencieuses, invisibles dans leur coin. Mais c’est pour mieux revenir quand on s’y attend le moins, et lancer leurs assauts détracteurs.

Alors vous ne pourrez qu’apprécier ce voyage au coeur d’un pays où s’entrelacent comme dans la plus enchevêtrée des mangroves, jusqu’à ne plus y voir la couleur du jour, tendresse et violence, accomplissement et renonciation : une mère.

Mieux : supposez que riche et pauvre se prennent la main et qu’ainsi, unissant leurs forces, comblant chacun les faiblesses de l’autre, ils avancent ensemble vers la prospérité commune ?

Au beau milieu de cette joyeuse partie de cache-cache, la nuit tomba d’un coup, comme d’habitude. On aurait dit que quelqu’un, le vendeur de lumière, chaque soir consultait sa montre. A l’heure dite, brutalement, il baissait le rideau. Fermé, le magasin. A demain, si Dieu nous réveille.

Plus les marchés sont pauvres, plus les marchés sont riches.

La solitude est pire que la mort, en Afrique, pire que le désert, pire que l’absence d’eau, pire que le pire. La solitude te tranche le bras, les jambes, les parfums que tu respirais, la musique qui te berçait. Elle te sépare de tes souvenirs, de tes regards, de tes rêves, elle te retire de ton nom, de ton sol, de ton fleuve, du soleil. La solitude ne s’en tient pas là. La solitude continue : elle te connaît mieux que toi-même.

Oh, le rare bonheur d’élever un enfant dont on n’est pas le géniteur direct, mais seulement un grand-parent. Ce grand ajouté à parent, cette génération tampon fait toute la différence : un matelas de tendresse, une réserve de temps où chacun peut puiser à sa guise, un trésor de bonne distance, une épaisseur d’eau douce qui filtre les rayons, ne laissant passer que les utiles, les bienveillants.

Hélas est l’hymne des impuissants. D’après toi, si les femmes, un beau jour, décident toutes d’arrêter de travailler, qu’arrivera-t-il à l’Afrique ?
L’Afrique n’existe plus.

Tes dernières fois sont comme des mères africaines, elles n’arrêtent pas d’engendrer d’autres dernières fois.

La vérité n’est pas toujours belle, mais autant la connaître, n’est ce pas ?

Mes enfants, apprenez que les maladies de l’Afrique sont au nombre de deux, deux seulement : l’ignorance et la corruption.

Ce n’est pas difficile pour un homme, après tout, de changer une femme en princesse. Il suffit de lui prouver qu’elle vous est utile, infiniment utile. Et pourtant rares sont ces hommes-là, capables d’avouer ce genre de besoin. Le besoin n’est pas toujours une faiblesse.

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