Une intelligence intuitive et analytique en même temps, un besoin de solitude et tous les paumés à ses basques, une écoute attentive et des accès de repli sur soi… En deux romans, Frieda Klein a imposé dans l’univers du polar sa personnalité toute en paradoxes. A la différence de son homologue californien le Dr Alex Delaware, créé par Jonathan Kellerman, complément idéal dans l’action du flic Milo Sturgis, la psychologue londonienne imaginée par Nicci French, auxiliaire officieuse de la brigade criminelle, est du genre observatrice silencieuse. Elle est pourtant le principal sujet de chaque histoire, son véritable centre d’intérêt, plus complexe que les intrigues auxquelles elle se trouve mêlée.
Dans « Maudit mercredi (Le jour où les jeunes filles rencontrent la mort) », troisième volet d’une saga prévue en huit, super-Frieda montre même de quoi elle est capable, à peine remise de l’agression d’une psychopathe qui l’a envoyée à l’hôpital (« Sombre Mardi »). La voici tout à la fois conseillant son ami l’inspecteur Karlsson sur le meurtre d’une mère de famille exemplaire, recueillant les enfants de la victime, repérant des disparitions en série ignorées de la police, assistant sa propre soeur déprimée et hébergeant sa nièce en crise, tout en servant de repère à ses vieux copains marginaux. Il y a bien son amoureux qu’elle néglige, exilé à New York, mais comment pourrait-il lui en vouloir…
Frieda la psy peut donc suivre ses vibrations intérieures sans entraves. La mère de famille assassinée et les jeunes disparues ne sont pas les énigmes les plus opaques qui soient. En voyant où elle porte spontanément son regard, on se fait vite une idée. Le vrai suspense est ailleurs, dans son cheminement intérieur, ses contre-pieds, ses rêveries nocturnes. Comme si ses créateurs Nicci Gerrard et Sean French – le duo fusionnel du roman policier – craignant l’ennui la cinquantaine venue et le nid familial déserté, s’étaient imaginé une compagne assez coriace pour les tenir en haleine jusqu’en 2020.
« Nous avons eu l’idée d’une femme secrète, difficile à vivre, distante, maussade”, avouaient-ils lors de la sortie de “Lundi mélancolie”, en 2012. « Frieda est un mystère en elle-même, et ce mystère sous-tend toute la série”. Le pari suppose une adhésion exclusive du lecteur. Aimez Frieda et vous apprécierez les romans. Mais comment lui résister ? Dans une société cruelle pour les faibles, au milieu de policiers trop souvent désarmés, son intellect acéré, son coeur généreux et son intraitable droiture la placent au-dessus de la mêlée. Une héroïne moderne, aux valeurs chevaleresques.