Si, en cette rentrée littéraire, vous ne deviez lire qu’un seul livre, ce serait celui-là!
Lire les mots, les phrases, les textes d’Olivier Rolin, c’est lire une matière poétique, c’est lire un texte d’une exceptionnelle densité. Car quel que soit le sujet qu’il choisit, il convoque pour l’aborder tous les écrivains qui l’ont précédé et qui en ont parlé avant lui.
Sa connaissance d’un sujet passe d’abord par la découverte qu’il en a lui-même faite au travers des livres qu’il a lus. Dès lors, il se glisse dans un continuum littéraire et nous invite à le suivre, à marcher dans ses pas pour découvrir un pays ou un événement qui ont d’abord une existence littéraire, avant d’avoir une existence matérielle, et auxquels il ajoute sa propre voix.
A des mots, que nous avons ou non en partage, il ajoute ses propres mots qui, comme des strates successives, donnent chair à ce qui est révélé. Car le monde n’existe que parce qu’on le dit, comme il nous l’avait si magnifiquement démontré dans ce qui m’apparaît aujourd’hui comme son manifeste littéraire et qui reste pour moi son chef-d’œuvre, L’Invention du monde. L’écrivain y apparaissait comme un démiurge, orchestrant le monde, lui conférant sous son apparent chaos une véritable unité.
Dès lors tous les mots sont conviés et aucun n’est à exclure – qu’ils appartiennent à des langues étrangères, à différents niveaux de langue, du plus soutenu au plus familier, si la trivialité de ce qui est dit l’exige, qu’ils soient issus d’articles de journaux ou d’encyclopédie, de romans, de poésies, de notices techniques… tout ce qui produit du sens a sa place. Et c’est ce qui fait pour moi la beauté et la richesse de ses textes.
De quoi Olivier Rolin nous parle-t-il aujourd’hui dans Le météorologue ? D’un homme ordinaire, un Russe issu de la noblesse qui choisit par conviction personnelle de mettre ses compétences scientifiques au service de la classe ouvrière et de la Révolution.
S’appuyant sur les lettres qu’il écrivit à sa femme et à sa fille, Rolin retrace les dernières années de la vie d’Alexei Féodossiévitch Vangengheim, celles qu’il passa dans un camp.
Ce faisant, il sonde son âme. Il essaye de trouver le moment où la confiance qu’il avait placée dans le Petit père des peuples et dans le régime socialiste fut rompue. Si toutefois elle le fût un jour. Car briser cette confiance c’eût été mourir avant même de recevoir cette balle dans la nuque qui mit définitivement fin à ses jours dans une forêt glaciale de Sibérie. C’eût été anéantir l’objet d’une vie. Un être humain a-t-il la force, même s’il est – ou justement quand il l’est – terrassé, muselé par la terreur et la tyrannie, de renoncer à ce qui donne sens à son existence, lui permettant ainsi d’en supporter le poids ?
Au travers du destin singulier d’un être moyen, d’un individu comme vous et moi, Olivier Rolin montre le fonctionnement terriblement oppressif de cette effroyable machine à broyer l’humain que fut le régime stalinien.
Par son écriture extrêmement précise, ses observations parfois cliniques, telle cette litanie des noms de ceux qui furent exécutés avec Vangengheim, il parvient à restituer les lieux, les acteurs et l’atmosphère de cette terrifiante tragédie. La lecture en est saisissante.
Pourquoi un tel sujet ? Parce qu’il interroge l’idéal révolutionnaire, dans sa dimension collective autant qu’intime. Un idéal qui fut bien évidemment au cœur de l’existence d’Olivier Rolin lui-même, qui embrassa la cause révolutionnaire en militant activement au sein du mouvement maoïste dans les années 70. Pas étonnant d’ailleurs de voir le narrateur et son héros se confondre parfois au fil du récit…
Comme pour nombre de personnes, la désillusion fut à la mesure de l’espoir. Une douleur, une béance que rien n’est venu combler par la suite. Olivier Rolin n’en finit pas d’interroger cet élan qui une fois brisé a laissé le champ libre à un individualisme forcené et à la formation de la société ultralibérale que nous connaissons aujourd’hui. Une réflexion qui concerne chacun de nous, qu’on le veuille ou non. Quelle est notre place dans la société ? Quel avenir voulons-nous construire ? Et avec quels moyens ?
Ici, vie et récit s’unissent intimement ; les espaces littéraire et politique, au sens noble du terme, se confondent. Et c’est cela, sans doute, qui me touche si profondément. Car en ce qui me concerne également, la littérature est la clef d’accès au monde. La plus belle et la plus riche qui soit.
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