Mon royaume pour une guitare
Kidi BEBEY

Pocket
août 2016
352 p.  7,30 €
ebook avec DRM 12,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

« Quand je serai grand je ferai blanc »

C’est une sacrée histoire que nous raconte Kidi Bebey. Une histoire dans laquelle la vie est un roman et le roman une vie qui ressemble beaucoup à celle de sa famille.
Tout commence dans les années 50. Francis Bebey, le fils d’un pasteur camerounais, est si bon élève qu’il obtient une bourse pour étudier en métropole comme l’on disait à l’époque, puisque le Cameroun était une colonie française. De son côté Madé, fille de géomètre, bonne élève également, va elle aussi partir faire ses étude en France. Et c’est là, quelques années plus tard, qu’ils s’aimeront et décideront de fonder une famille. Ils auront cinq enfants, dont l’auteure, qui s’intercale dans cette fratrie joyeuse qui invente le monde dans lequel elle grandit.
Ils vivent en France, pas de doute là-dessus. Kidi achète des baguettes à la boulangerie du coin, fait merveille à l’école et se morfond en quêtant le regard de Christophe Laisné, le plus beau garçon de la classe.

A la maison on parlait le douala

Mais l’Afrique, le pays, la famille, sont omniprésents. Longtemps Francis et Madé se sont demandé s’ils ne devaient pas retourner au pays. Ils ont vécu à Paris l’exaltation des indépendances africaines, et un mois après son mariage, en 1956, Francis – à l’époque jeune journaliste- a assisté au 1er congrès international des écrivains et artistes noirs: Léopold Sedar Senghor, Aimé Césaire, Ampâthé Bâ… Autant de talents que de promesses. Mais Marcel, le frère aîné de Francis, son modèle, son héros, est retourné au Cameroun. Après avoir combattu aux côtés de la France libre et étudié la médecine, Il s’est lancé dans la politique ; il est menacé et décourage son frère de le rejoindre.
À la maison, on parle le douala et l’on respecte les règle de là-bas ; pas question pour la petite Kidi de manger le gésier du poulet. Pourquoi ? Parce qu’au pays, les femmes ne le mangent pas. C’est comme ça et pas autrement. Par deux fois la famille part pour les vacances dans ce Cameroun que les enfants découvrent, tellement surpris par ce monde si différent du leur. Et puis, c’est la rentrée des classes et l’on revient à Paris. Imperceptiblement l’idée du retour s’estompe. D’autant plus que Francis, le véritable héros de ce roman familial, décide d’abandonner l’Unesco où il occupe un poste de fonctionnaire international enviable –il fallait bien nourrir la famille– pour se consacrer à la guitare, la musique et l’écriture.

Vivre son destin

Après mille péripéties et beaucoup d’angoisse que raconte avec tendresse et admiration « Madame Kidi » -c’est ainsi que l’appellait son père-, il réussira à s’imposer comme l’un des artistes africains reconnus dans le monde entier.

Ce récit, sensible, alerte et gai, nous invite – et c’est rare – à partager ce métissage culturel qui se passe en douceur, presque à l’insu des protagonistes. Ils sont d’Afrique et de France, sans que rien jamais ne soit une trahison. Francis, lui qui enfant voulait faire « blanc » comme métier (!), est aussi du pays de la musique et l’on comprend à la fin de ce récit, quand il joue sur la scène du Carnegie Hall, que la seule fidélité qui vaille consiste à vivre son destin.

partagez cette critique
partage par email