Quand il pense à son père, Olivio le voit assis sur sa Vespa ou promenant dans la rue sa longue silhouette, le pantalon flottant au vent. Les traits de son visage se sont effacés, sa voix a disparu de sa mémoire. Quand il pense au Portugal, il se rappelle de ce terrible cyclone qui emportait tout sur son passage. Le lendemain, un petit chat était arrivé de nulle part, les yeux dans le vague. Désormais, ils n’étaient plus seuls. C’était quelques jours avant de partir pour la France. Olivio avait huit ans. Le petit garçon d’alors ne comprenait pas le chambardement autour de lui. Il se contentait des mots que sa mère lui disait. Il suivait le courant. Et tout contre son coeur, Océano, son chaton, se blottissait.
Ils fuyaient la dictature de Salazar. Le père d’Olivio avait été arrêté pour raison politique et était mort en prison. Toute la famille était surveillée. Veuve, sa mère ne voyait qu’une échappatoire : commencer une nouvelle vie ailleurs, se reconstruire.
La mère et le fils arrivent dans une banlieue populaire lyonnaise au début des années soixante-dix, lieu où les grands ensembles poussent comme des champignons accueillant les immigrés algériens, espagnols, portugais, les rapatriés… Il leur faudra s’intégrer, s’adapter, apprendre la langue, aller vers les gens. Faire face au racisme, au rejet, à l’absence d’un mari et d’un père, prendre leurs marques, baliser un chemin, faire des projets.
Alors que sa mère rencontre Max, un rapatrié algérien, Olivio fait la connaissance d’Ahmed, immigré d’Algérie. Ce garçon a son âge. L’alchimie fonctionne immédiatement entre eux. Ces deux déracinés n’ont pas besoin de parler pour se comprendre. Plus que de l’amitié, un grande tendresse naît entre les adolescents.
Olivio grandit dans la maison de Max, un beau-père qui ne s’occupe que de son propre fils, né d’un précédent mariage. Un beau-père qui relègue Olivio dans une petite chambre sous le toit et Océano dans le jardin. Qui ne tient pas ses promesses, parle fort, s’emporte facilement, boit beaucoup… Double peine pour Olivio, il se sent exilé une deuxième fois. Et quand il a l’opportunité, après la révolution des oeillets de se rendre au Portugal, il n’y trouve pas ce qu’il cherche. Mais où est sa place ? Lui qui se sent si différent des autres… étranger partout où il passe. Étrange, dans le regard des hommes qui l’entourent, si virils, si costauds… Si éloigné du portrait que l’on fait de son père. Lui, Olivio, si sensible, si frêle, si doux…
Un roman à la première personne qui entre au plus profond de l’intime, de l’identité, de la construction de soi, avec pour toile de fond la peinture d’une société qui bouillonne. De la dictature d’un pays à son renversement, des flux migratoires aux entassements dans les banlieues, de l’arrachement d’un pays à l’insertion dans un autre, de la perte d’un père à la conquête de soi, Brigitte Giraud se glisse avec intelligence et délicatesse dans la peau de ce garçon. La voix émouvante d’Olivio résonnera longtemps dans mon esprit. Et je l’imagine trouvant enfin sa voie, vers l’apaisement.
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