On ne voyait que le bonheur
Grégoire Delacourt

Le Livre de Poche
août 2015
312 p.  7,30 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Et si on lisait Grégoire Delacourt?

Il est de bon ton, paraît-il, d’éreinter Grégoire Delacourt. Trop de succès pour les uns, trop de facilités pour les autres, l’auteur se vend bien, très bien même, mais agace les critiques.

Son deuxième livre fut un immense succès populaire : « La liste de mes envies » s’installe sur la liste des best-sellers pendant des mois. Puis vient « La première chose qu’on regarde », autre succès, qu’on a beaucoup évoqué dans la presse et pas seulement dans les pages littéraires. Scarlett Johansson, elle-même, lui fait un procès, furieuse d’apparaître dans le roman.

Et si on lisait Grégoire Delacourt ? Et si on oubliait l’aspect commercial pour se concentrer seulement sur son dernier livre, « On ne voyait que le bonheur ? »

Grégoire Delacourt a voulu surprendre ses lecteurs : pari réussi. Un homme ordinaire, Antoine, ne s’est jamais remis d’une enfance traumatisante : une mère qui s’enfuit de cette petite ville provinciale où elle crève d’ennui, un père incapable de comprendre ses enfants, une petite sœur traumatisée par la mort de sa jumelle et qui – belle idée – ne parle littéralement qu’à demi-mot. Antoine a aujourd’hui quarante ans, il est expert en assurance, marié, père de deux enfants. Il ne s’est jamais remis de l’absence de sa mère. Ne l’aimait-elle donc pas ? Mais est-il seulement aimable ? Le bilan qu’il fait de sa vie n’est guère réjouissant : il connaît sa lâcheté, sa difficulté à aimer, il a raté sa vie. Son couple part à vau-l’eau sans qu’il n’y puisse rien, son père se meurt. Une nuit, il va commettre l’irréparable, l’inexplicable, comme s’il voulait couper court à la transmission : c’est la descente aux enfers.

Grégoire Delacourt change de cap et certains trouveront le roman trop noir, trop dur, trop larmoyant peut-être. D’autres, les plus nombreux, seront bouleversés par ce personnage perdu, qui ne trouvera la rédemption qu’à des milliers de kilomètres de sa vie passée. Et qui se réconciliera enfin avec les autres comme avec lui-même.

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coup de coeur

Par-delà les clichés

Grégoire Delacourt semble endurcir sa plume. Dans cette tragédie familiale, il passe de l’autre côté des photos de famille heureuse. Il dissèque des alliances et des liens de filiation qui pourraient être, mais ne sont pas, les clefs du bonheur. Il fait éclater les pixels d’une béatitude qui avait tout d’une illusion.
Antoine est expert pour une compagnie d’assurances. A coups de rapports d’expertise, il évalue la vie des autres, les dommages et les préjudices subis, quantifie ce qui n’a pas de prix, indemnise l’irréparable, conscient de son pouvoir sur l’existence des autres.
Il estime aussi sa propre vie, en réalité fissurée de multiples failles : la mort subite de sa sœur encore fillette, l’indicible souffrance de son autre sœur, qui désormais ne prononcera plus qu’un mot sur deux ; l’absence du père, celle aussi de sa mère, murée dans une solitude et une tristesse que nul ne pourra – ou ne voudra – jamais tenter de panser ; une culpabilité qui colle à la peau. Plus tard, une compagne absente elle aussi, volage et qui bientôt le quitte ; le cancer du père, temple de toutes les souffrances endurées, de tout ce qui n’a pas été digéré.
Puis le roman glisse, c’est la descente aux enfers d’un homme qui commettra l’irréparable. Ce qui, justement, ne saurait être dédommagé par nulle indemnité. L’auteur nous plonge dans un état de stupeur et de révolte qui – peut-être – ne nous quittera pas.
S’ouvre alors la deuxième partie du roman, sans doute le tableau le plus sombre, sous le soleil éclatant d’une plage mexicaine. Cet opus raconte, après 3 années d’internement psychiatrique, la (tentative de) reconstruction de soi, de l’amour de soi et des autres. Grégoire Delacourt signe un roman sur la possibilité du pardon.
Grégoire Delacourt laisse enfin la parole à une adolescente. Une jeune fille en apparence comme les autres, qui se cherche et cherche les autres, mais qui porte en plus le poids d’un bonheur illusoire, d’une enfance pulvérisée par les démons du père.
Grégoire Delacourt explore nos faiblesses et nos noirceurs que la façade familiale cache si bien. Et c’est peut-être là le pur travail de l’écrivain : explorer la faille, dire l’indicible et trouver enfin, par-delà les clichés, une part d’ombre et de vérité.

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