Olivier Adam.
Un écrivain dont j’avais tellement aimé le dernier livre, Les lisières, que je me réjouissais de retrouver son style singulier, à la fois noir et pourtant empreint d’humour, témoignant d’une immense tendresse pour ses personnages malmenés par la vie.
C’est bien cela que j’ai eu la joie de retrouver, dans un roman cependant fort différent du précédent.
Avec Peine perdue, Olivier Adam prend le contrepied de ce qu’il avait entrepris dans Les lisières. Au lieu de se concentrer sur un personnage central dont il explorait tous les arcanes de la personnalité et du psychisme, il a écrit un livre choral – comme on parle de film choral – un livre dans lequel 22 personnages se succèdent pour apporter leur propre point de vue sur les événements qui se déroulent dans une petite station balnéaire de la Côte d’Azur : une tempête et l’agression de la star de la petite équipe de foot locale. On fait ainsi une courte incursion dans leur existence, dont les contours se dessinent également au travers des liens qu’ils entretiennent avec les autres personnages du roman. Ainsi se construit le tableau cohérent et riche, fourmillant de détails, de cette communauté.
On y croise aussi bien des jeunes femmes cumulant les jobs pour essayer de se constituer un revenu complet, des types paumés réalisant à l’occasion quelque méfait, des couples séparés, des nouveaux riches arrogants (enfin, celui-là il n’y en a qu’un, car on sent bien que ce n’est pas ce genre de personnage qui intéresse l’auteur…), des parents démunis face à leurs enfants devenus adultes qu’ils ne comprennent plus, de jeunes hommes endossant tant bien que mal leur nouveau rôle de père, un écrivain (une écrivaine !) venu se mettre à l’écart de la tourmente parisienne (tiens, tiens…), des personnes âgées atteintes de maladies incurables, des copains d’enfance…
Olivier Adam compose ainsi un groupe qui est comme un microcosme de la société française. Se faisant, il n’échappe pas à quelques clichés, qui me semblent inévitables dès lors qu’on se propose d’étudier son sujet avec une loupe. Mais si certains personnages apparaissent un peu caricaturaux, il n’en reste pas moins qu’Olivier Adam excelle à leur donner chair, à déceler les fêlures et à faire surgir la tendresse et l’humanité derrière l’apparente dureté dont certains se sont fait une carapace pour ne pas se sentir broyés. Il sait mettre les mots les plus justes sur ce qui constitue leur quotidien et touche ainsi directement au coeur du lecteur. Car, bien entendu, les situations heureuses ou malheureuses auxquelles sont confrontés les personnages sont celles que tout un chacun connaît à un moment ou à un autre de sa propre existence : difficultés professionnelles, séparation, naissance d’un enfant, difficultés à vivre en couple, arrivée à la retraite, sentiment amoureux, maladie…
C’est rien moins que cela – la vie – qui nous est offert dans ce merveilleux roman. Et même si j’ai trouvé le dernier chapitre un petit peu faible (sans doute était-il difficile de clore un tel livre car la vie continue, et il est donc par définition impossible de conclure), cela n’a en rien affecté la beauté de ce récit.
Olivier Adam possède un tel talent pour dépeindre des situations parfois très noires, sans se départir d’un humour pertinent qui permet de montrer les choses en demi-teinte, conformément à ce qu’est souvent la «vraie vie». Il sait parfaitement mêler à l’émotion, voire à la tragédie, la légèreté et le sourire, sans que cela paraisse ni forcé ni artificiel. ses formules, dont il a le secret, touchent toujours juste.
Ainsi, lorsque le flic, la quarantaine en berne, qui ne s’est jamais remis de la séparation d’avec sa femme nous apparaît totalement lessivé, avec ses cernes «qui lui mangent la moitié des joues», son extrême fatigue et sa petite vie étriquée, on serait prêt à déprimer en sa compagnie. Sauf qu’Olivier Adam nous rattrape en une seule formule, nous montre en un instant cette situation sous un jour différent : ce gars au bord de la dépression a «l’air d’un raton laveur sous Tranxène». Alors, évidemment, on éclate de rire et Adam en profite pour remettre le type en selle, le raccrocher à sa vie et lui permettre de continuer. Je ne vous révèlerai rien de la scène où l’un des personnages, à l’hôpital, répond tant bien que mal aux questions de l’interne qui cherche à vérifier l’état de son patient : là encore l’humour corrosif d’Olivier Adam fait de cette scène un moment d’anthologie !
Par son style dense et fluide, l’auteur fait jaillir les images et les sensations à chaque page, nous offrant ainsi bien des moments de grâce.
Si vous aimez les romans à veine sociale, les récits qui ont pour ambition de donner une lecture de notre monde, alors, allez-y : vous allez vous régaler !
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