« Il y a un certain type de femme qui vont déceler la terreur chez quelqu’un et lui donner le nom de courage. »
Une femme fait du stop en Nouvelle-Zélande. Il n’y a rien de plus à savoir avant d’entamer ce roman qui a déclenché chez moi des élans d’amour incontrôlables, heureusement tempérés par des plages d’ennui incontestables, parce que mon coeur aurait pu éclater d’allégresse sinon.
Oui, par moment on décroche, il nous semble qu’Elyria tourne un peu en rond tout de même mais en même temps n’est-ce pas ce qu’elle ne cesse de nous déclarer ? Acceptons sa quête de disparition et prenons les choses telles qu’elle souhaite nous les présenter, à rebours. La construction sautille et prétend être aléatoire alors qu’elle est d’une maîtrise époustouflante qui ne nous apparaît qu’une fois la dernière page tournée. Au compte-goutte, des éléments se mettent au jour et la situation exacte nous est verbalisée dans les dernières pages (bien que « l’épilogue », soit la situation présente d’Elyria, nous soit donnée incidemment dans un soliloque central), et c’est triste, pour finir, c’est une histoire qui ne se termine pas bien. Mais le voyage auquel nous sommes conviés est d’une intensité rare et d’une irrésistible drôlerie (« inespérée », dit la 4° de couv., ce qui m’amuse). Quel style, mes amis ! Quelles fulgurances foudroyantes ! Quelle élégance, quelle désinvolture, quel décalage… Bref, j’ai adoré. C’est son premier roman (!), un deuxième vient de paraître chez Actes Sud, et je vous invite à dépiauter son site web qui est également une mine : https://www.catherinelacey.com
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« Au bar, tout le monde avait le même regard amer et abruti. L’océan nous secouait.
J’ai pris le dernier tabouret, à côté d’un homme qui finissait sa bière. Il a posé son verre, s’est essuyé la bouche, m’a regardée par-dessus sa manche, et m’a adressé un signe de tête insignifiant, ce qui m’allait bien vu que je n’avais aucune envie de gérer un signe de tête signifiant. Je voulais gérer l’océan parce que l’océan faisait bouger le ferry, faisait déborder toutes les pintes tenues par des mains nerveuses. J’ai posé la main sur le bar, dans une flaque de quelque chose, je l’ai essuyée sur ma cuisse, et puis j’ai posé mes yeux suppliants sur la barmaid et elle est venue vers moi, une femme au visage de porcelaine, tendre, si tendre. Elle servait les bières avec tant de grâce qu’on aurait dit une danse, et elle a apporté les bières au type insignifiant, et à moi, sans poser de questions, ni parler d’argent, parce que c’est ça la tendresse.
Je l’aimerai jusqu’à la fin de mes jours. »
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« C’est juste que c’est pas prudent, d’être une femme ou une fille où que ce soit, de nos jours. Vous vous souvenez de la dignité ? Eh bien les gens ont égaré leur dignité. Tout change. Pourquoi est-ce que tout change comme ça ? Je n’en sais rien. Du tout. Quand j’avais votre âge, j’allais partout en stop, mais maintenant – bon Dieu, je ne sais pas ce qui est arrivé aux gens, mais ils ont mal tourné, ils ont tourné vinaigre, tous.
J’ai dit que je ferai attention, et elle m’a déposée sur un grand parking à Ostend. Elle a dit, Et gardez vos distances avec ces foutus types.
J’ai dit que je le ferai mais je ne l’ai pas fait, un type s’est arrêté et je suis montée dans son camping-car vert vif.
Il a dit, Mortis.
J’ai dit, Mortis ?
Il a dit, Non, Mortis.
Mortis ? J’ai redemandé, mais il a dit, Non.
J’ai dit, Je suis Elyria, et puis on ne s’est plus parlé.
Mortis aurait pu être suisse ou quelque chose comme ça, et il m’a emmenée là où il allait, une petite plage presque vide, sans me violer ni me tuer, ce que j’ai apprécié, et quand on est sorti de son camping-car il a dit, Fais gaffe à toi, et j’ai dit, Toi plus, et j’ai fait comme si c’était comme ça que les gens parlaient dans ce monde parce que qu’est-ce que ça changeait ? Qui ça dérangeait que je me balade en imitant les autres ? »