Et si le tueur réussissait à s’en sortir ? Paul Cleave a l’art d’inoculer cette pensée inavouable dans la tête de ses lecteurs. On en avait fait l’expérience une première fois avec « Un employé modèle » (2010), le roman qui l’avait lancé, centré sur la personnalité vénéneuse de Joe Middleton. Homme de ménage dans un commissariat, ce faux gentil mais vrai sale type vidait les poubelles des policiers enquêtant sur ses crimes en série. Idéal pour les espionner et leur échapper. Un bijou de polar décalé autour d’un tueur à la Dexter Morgan, mais écrit bien avant la fameuse série télé. On s’était très vite délecté de ce même ton distancié, porté par un humour très noir, dans « Un père idéal » (2011). L’histoire d’un homme qui se demande s’il a hérité des gênes de son père, tueur de protituées emprisonné à vie. Et qui décide de passer à l’acte. L’auteur néo-zélandais expliquait alors vouloir « montrer un personnage qui commet des choses terribles avec de bonnes raisons »… Manière d’inciter le lecteur à « se projeter dans des situations extrêmes, à se demander ce qu’il ferait à sa place » Et d’ajouter : « Dans « Un employé modèle », même si vous ne souhaitez pas que Joe continue à tuer, vous avez envie qu’il ne se fasse pas prendre à la fin. C’est intéressant d’amener les lecteurs à éprouver de la sympathie pour des « méchants ». » Une veine audacieuse dans laquelle le romancier a poursuivi avec succès. Il vit enfin de sa plume, après des années de vache maigre. A maintenant 41 ans, il s’est même affuté, comme le prouve « Un prisonnier modèle », septième de ses huit romans. Le grand retour de Joe Middleton. Le Boucher de Christchurch s’est fait prendre et attend son procès en prison, dans le quartier des pervers. Il est le seul à trouver des raisons de sourire : sa logique tordue et son art de la dissimulation, mais aussi la conviction que dehors, sa complice ne le laissera pas tomber. La jolie Melissa veut-elle vraiment le sauver ? Ou bien, comme le policier qu’il a humilié et le père de famille dont il a assassiné la fille, juste lui coller une balle dans la peau lorsqu’il arrivera au tribunal ? Avec ce trio à ses trousses, Joe va vivre un « attrape-moi si tu peux » carrément dingo, dont Paul Cleave brouille brillamment les cartes. Soufflant le chaud et le froid, il passe des monologues intérieurs du tueur, d’une absurdité souvent hilarante, à la haine que son innocence proclamée inspire à son entourage. Et sème le trouble en nous faisant aimer Joe la Victime autant qu’on déteste Joe le Bourreau. L’issue est imprévisible, déroutante et… heureuse. Reste à savoir pour qui.