Parfois, la fiction épouse la réalité. C’est la grande qualité de ce livre, intitulé « roman », qu’on dévore effectivement comme tel, et qui pourtant nourrit mieux qu’un document. Véronique Mougin décrit très précisément la condition d’une gouvernante au début de l’an 2000, au fil des familles dans lesquelles elle est appelée à exercer ses talents. On comprend que si elle a inventé quelques anecdotes et arrangé certains personnages, l’essentiel est vrai.
Ce qu’on découvre est à la fois consternant et désopilant. La gouvernante rame, sommée de s’adapter aux caprices sans fin dans lesquels se noient les richissimes maîtresses de maison qu’elle sert et qui tournent à vide dans un luxe dont, souvent, elles ne font pas grand-chose d’utile ni d’intéressant. « Madame », parfois, est généreuse. Il lui arrive même de travailler. Mais, comme elle évolue dans une bulle déconnectée de la réalité, à mille lieues du petit personnel sur lequel elle exerce son pouvoir financier, elle n’a pas de limites. D’où sa tendance vertigineuse à donner libre cours à son hystérie, à ses obsessions, à ses manies, à sa névrose. Chacun sait que le puissant, aux yeux de son serviteur, est nu.
La domestique que met en scène Véronique Mougin ressemble à son auteur. Maligne et drôle, elle tire des leçons percutantes de son expérience. Comme celle-ci, qui résume l’intérêt de ce livre vif, intelligent, très bien écrit : « La gouvernante exerce en secret un autre métier que le sien. Dissimulée dans le paysage, elle observe les spécimens les plus rares de la nature humaine,. Nababs, génies, excentriques, magnas, vedettes…Elle étudie leur langage mystérieux, leurs parures exotiques, leurs inhabituelles coutumes puis épingle mentalement tout ce beau monde ». Et c’est passionnant.