Un texte qui interroge l’histoire de la littérature et la relation du lecteur avec les héros de fiction : c’est ce que le jury du prix Edgar Allan Poe a salué en couronnant John Connolly pour « The Caxton Private Lending library and book depository ». Avec ce très court roman, traduit en français sous le titre « Prière d’achever », ce maître du thriller fantastique, qui nous a fait frémir avec « L’Ange noir » et « Tout ce qui meurt », s’éloigne du registre de l’angoisse pure pour un joli numéro d’équilibriste entre fable et roman noir.
La réflexion insolite dans laquelle nous plonge l’auteur irlandais naît de la rencontre d’un personnage falot et triste, M. Berger, avec une jeune femme mystérieuse, pâle et angoissée. Un soir de promenade, ce solitaire qui n’a d’autre compagnes que la lecture et la marche voit la belle désespérée se jetter sous les roues d’un train… avant de se relever et de s’enfuir.
Bouleversé, il la poursuit jusqu’à une bibliothèque où elle se réfugie. Il en est certain : avec ces vêtements, ces bottines et ce sac rouge, il s’agit d’Anna Karénine, l’héroïne de Tosltoï… Dès lors, ce petit homme sans plus de passé que d’avenir se découvre des sentiments inconnus : passion, ambition, volonté. Il veut aider cette femme qu’il croit connaître comme une amie et, surtout, lui épargner un destin tragique. Il n’est pas au bout de ses peines ni de ses surprises…
L’idée est brillante, et John Connolly la développe avec la finesse et la conviction voulues. Tout lecteur peut voir un peu de lui-même dans ce M. Berger auxquels les livres renvoient sa propre humanité. Les héros de la littérature marquent les mémoires et traversent le temps. Ils nous apparaissent aussi proches, humains et familiers que les grands noms de l’Histoire. Leurs peurs ou leurs malheurs inspirent même des élans protecteurs. C’est le propre des grandes oeuvres, nous rappelle le romancier dans l’interview qui ponctue ce livre, que de rendre vivants des personnages qui n’existent pas.