Megan Abbott est la voix la plus originale qui se soit révélée ces dernières années au rayon roman noir. Les années 50, dans lesquelles aime nous transporter cette quadra new-yorkaise du Queens, sont un dépaysement total. La violence et les ressorts du suspense y sont essentiellement psychologiques, ce qui repose de bien des surenchères. L’écriture est ciselée, précise, exigeante. Les personnages typés avec force en quelques phrases, voire en quelques mots. Et l’on aurait tort de croire que Miss Abbott ne fait que s’amuser avec un décor rétro ou des archétypes de machos et de femmes fatales.
Démonstration avec « Red Room Lounge », son deuxième roman dans la chronologie des six déjà publiés aux Etats-Unis, le deuxième publié en France après le brillant « Adieu Gloria », couronné d’un Edgar (l’Oscar du polar, décernée par la Guilde des auteurs américains). Deux femmes s’y affrontent, c’est sa marque de fabrique. Alliées en apparence, rivale au plus profond d’elles-mêmes. Alice a épousé le frère de Lora, mais se multiplie pour nourrir leur complicité de filles. Troublée par ses absences, ses mensonges, ses cachotteries, Lora en vient à douter de sa sincérité et se met à fouiller son passé.
Voilà pour le squelette de l’histoire. Du classique. Megan Abbott y appose sa patte. Les personnages évoluent à la marge des studios hollywoodiens, plus près des recoins sombres que des projecteurs. Drogues et coucheries en tous genres, chantage et manipulation à la clef : la noirceur envahit le récit au fil des découvertes de Lora. Jamais pourtant, l’auteur ne pimente le récit gratuitement, jamais elle n’use des stéréotypes comme de simples gadgets. On n’est pas dans la reconstitution nostalgique.
Megan Abbott semble se transporter elle-même dans cette époque, penser et écrire comme elle aurait pu le faire alors, comme pour mieux cerner l’évolution de l’espèce. Entre ses protagonistes, elle crée des tensions sexuelles qui font ressurgir ce que les comportements masculins et féminins ont d’éternels. Derrière les paravents du divertissement et de l’exercice de style, Megan Abbott dépouille les identités sexuelles, dissèque la masculinité et la féminité.
Si sa démarche est intellectuelle autant que formelle, ses romans se lisent avec un plaisir gourmand. Ecrit il y a près de dix ans, « Red Room Lounge » présente de légères raideurs, comme si elle peinait encore à trouver la spontanéité dans le cadre qu’elle s’impose. Ce roman contient néanmoins toutes les promesses que transformera plus tard « Adieu Gloria ». Reliés l’un à l’autre, comme deux pointillés d’un dessin-mystère, ces deux livres esquissent l’amorce d’un parcours brillant, voire même glorieux.
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