Evidemment il faut aimer lire les journaux intimes. Si c’est votre cas, précipitez-vous sur ce « Journal d’Irlande » de Benoîte Groult. Pourquoi d’Irlande ? Parce qu’elle partage avec Paul Guimard, son mari, une passion pour la pêche. Ensemble, ils font construire une maison près d’un petit port d’où la vue est à couper le souffle. Et ce sont ces étés qu’elle nous raconte dans cette Irlande magnifique, aux lumières insaisissables, mais qui est aussi rude, pesante, souvent froide avec ce drizzle qui mouille jusqu’aux os. Mais heureusement il y a les pubs !
Quand ce journal débute elle a 60 ans. Elle fait preuve, jusqu’à la fin, d’une énergie débordante : pêche tous les jours, cuisine de la pêche -sa soupe de bouquets fait rêver !- entretien du jardin et de la maison, lecture, écriture, réception des enfants et des amis…
Et puis il y a Kurt. Kurt c’est l’amant américain. Il a 10 ans de plus qu’elle. Il vit aux USA. Ils s’étaient rencontrés juste après la guerre, mais chacun a fait sa vie de son côté. Leur liaison a démarré dans les années 60. Il lui fait l’amour comme personne et elle s’émerveille de ses « doublés » à 70 ans passés. Elle aime ses déclarations enflammées et l’amour inconditionnel qu’il lui porte. Mais cela n’entame pas sa lucidité; elle le décrit comme inculte et pas très intelligent . « Pourquoi le roi des cons est-il le roi de mon con ? » se demande t-elle.
Il serait prêt à quitter sa femme américaine pour elle. Elle tergiverse, mais restera avec Paul. Paul, qui est parfaitement au courant de cette liaison, mais qui sait que c’est le prix à payer pour garder cette femme qu’il aime profondément. Elle, elle ne l’aime plus beaucoup. Il l’a trop trompé. Lui si brillant, si talentueux ne la fascine plus. Elle raconte son déclin, ses dents abîmées, son laisser-aller qui l’insupporte.
Ce journal est celui de la vieillesse qui gagne sur les êtres comme la marée montante gagne sur les plages. Vieillesse des couples qui se lassent, des femmes qui désirent encore, des hommes qui s’amollissent, des corps que gagnent l’arthrose et les rhumatismes. « Quand je montre le nord, mon doit indique l’Est ».
Tout cela pourrait être lugubre. C’est tout le contraire. Par la grâce d’une écriture simple et vive, de l’humour d’une femme libre, jamais dupe -ni d’elle, ni des autres-, d’un goût inaltérable pour la vie, ce texte éclabousse le lecteur de son énergie.
Quand ce journal se termine, Paul est mort, la maison est vendue. L’auteure à 83 ans. Elle vivra encore plus de 10 ans et publiera deux livres dont la fameuse « Touche étoile », qui sera un best seller.
Il paraît que la vieillesse est un naufrage. Force est de constater que Benoîte Groult n’a jamais sombré et ce livre est un étonnant bain de jouvence.