Elle veille son mari mourant, une balle dans la nuque, en égrenant son chapelet et ânonnant « Al-Qahhâr, Al-Qahhâr, Al-Qahhâr », se calquant sur la respiration du moribond. Le silence de la chambre rend les bruits, la présence de la guerre encore plus insupportables. Le temps s’écoule au rythme de la respiration du mari, des alertes, du couvre-feu, des gouttes de collyre et du goutte-à-goutte. Un rythme lent, un quasi silence qui éclatera en morceaux avec les paroles de la femme.
Petit à petit, une impatience sortie de ses entrailles nait, une audace la tenaille. Elle ose s’insurger contre lui, ose parler du désir, des humiliations, de son père, de parler de toutes ces choses interdites qu’elle tenait enfermée au fond d’elle-même. Petit à petit, les mots se font plus osés, plus durs, plus crus. La soumission n’est plus de mise, elle ose parler d’elle, elle accouche, enfin, de sa féminité.
Dans ce conte, Atiq Rahimi, écrivain afghan, ose s’emparer de la féminité, des souffrances, des désirs d’une femme dans un livre toutes tripes sorties. Cette veilleuse défiera son époux inconscient, se vengera de lui et de sa famille en provoquant deux hommes armés venus se réfugier chez elle se déclarant putain pour ne pas subir le viol. « J’étais obligée de lui dire ça, sinon, il m’aurait violée » Elle osera dépasser les tabous « Je vends ma chair, comme vous vendez votre sang. » en assumant ce rôle de putain. Elle osera se rebeller contre l’hypocrisie, contre cette guerre fratricide qui dure depuis si longtemps, se dévoiler.
Celle qui n’était qu’effacement, fantôme sous son tchadari va se libérer, la pierre de patience va éclater dans une grande violence. « Tu lui parles, tu lui parles et la pierre t’écoute, éponge tous tes mots, tes secrets, jusqu’à ce qu’un beau jour elle éclate. Et ce jour-là, tu es délivré de toutes tes souffrances, de toutes tes peines. »
Un livre âprement superbe. La violence des mots d’Atiq Rahimi n’est pas sans me rappeler Anima de Wajdi Mouawad. Un coup de cœur.