S’il y a une chose dont on est sûr en refermant ce livre, c’est que le bonheur en est absent. Les personnages dont on traverse les existences l’ont peut-être frôlé, imaginé, poursuivi, mais celui-ci ne se laisse pas atteindre. C’est un miroir aux alouettes, une grande illusion.
Alice Munro retrace la vie de gens ordinaires, principalement des femmes. Elle présente ses personnages et les relations qu’ils entretiennent entre eux, les fait évoluer dans des paysages enneigés où il est difficile de distinguer les choses, dans des forêts sombres où on se perd, dans des maisons où on se cherche, dans la promiscuité d’un autocar… Ses personnages confrontés à des situations souvent dramatiques – assassinat, infanticide, prostitution, déviance, traumatisme, handicap… – plongent dans leur passé où se trouvent l’origine de leurs souffrances, un instant furtif, un geste, une parole, une image. Ils tentent « d’attraper » ce moment, celui-là même qui les fait basculer aujourd’hui.
Avec minutie et précision, l’auteure se rapproche de ses êtres de papier en opérant une sorte de zoom. Le lecteur entre dans leur intimité, entrevoit leur faiblesse, leurs crainte, leurs blessures, leur cruauté aussi. On assiste alors à un déplacement du sujet initial. L’image que le personnage renvoie se déforme jusqu’à être parfois monstrueuse. Le lecteur est lui-même déstabilisé par ces glissements et donc par le dénouement des histoires. Car d’autres tourments se greffent ; manipulations, dissimulations, solitude, secrets enfouis… modifiant les perceptions premières.
Les existences que nous raconte Alice Munroe ne sont pas lisses, elles sont au contraire rugueuses, les apparences sont vite balayées d’un revers de la main. La vie n’est pas une route droite, elle est jalonnée de bifurcations. Le drame évoqué dans chaque nouvelle n’est pas le thème principal, il s’agit plutôt pour l’auteure de mettre à jour ce qui l’a provoqué, le mécanisme psychologique, la pièce qui a entravé le rouage.
Une lecture âpre pour moi. Au fil des nouvelles, j’espérais voir une lueur d’espoir qui n’est jamais arrivée. En revanche, la construction des histoires est parfaitement maîtrisée. Les personnages ont de l’épaisseur, la nature est en communion avec les comportements des uns et des autres et les va-et-vient entre passé et présent ne sont jamais confus. Elle parvient à décrire l’âme humaine avec une telle justesse que cela en est inquiétant.
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