Un hiver à Paris
Jean-Philippe BLONDEL

Pocket
litt francaise
janvier 2015
187 p.  6,50 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

A nous deux Paris !

Qu’est-ce qui façonne un écrivain ? Quand ils s’expriment lors de festivals et autres salons littéraires sur ce qui les a amenés à l’écriture, la plupart des auteurs fait en général salle comble (et auditoire conquis !). Quelle petite voix écoutent-ils ? A quelles aspirations de jeunesse succombent-ils ? Ce texte, faussement estampillé du sceau de la fiction, est l’occasion d’en apprendre un peu plus sur ce qui, d’une manière évidente et paradoxale, a conforté Jean-Philippe Blondel dans la nécessité d’écrire.

L’histoire démarre par une lettre, reçue par le narrateur de retour de vacances et qui le renvoie des années en arrière. A cet « Hiver à Paris », au sortir de l’adolescence. Jeune provincial monté pour ses études, Victor peine à trouver sa place en hypokhâgne. Solitaire, isolé, il croit trouver en Mathieu un autre lui-même. Avant même qu’ils aient pu lier connaissance, Mathieu se suicide. Geste insensé dont les conséquences pour Victor seront complexes car, sans le vouloir réellement, il devient « celui qui a été ami » de Mathieu. Pour le père de ce dernier, notamment, avec qui il noue une relation pour le moins ambigüe. Avec une certaine pudeur, le narrateur évoque ce moment de bascule, celui où les autres élèves ont commencé à le voir, à l’estimer, à rechercher sa compagnie. « Un hiver à Paris » est un portrait jeune mec comme tant d’autres, quelqu’un qui ne parvient pas à s’adapter à un environnement d’exigences professorales excessives ; de sa réponse, inconsciente, à cette entreprise de formatage : la lucidité. Car Victor est d’une incroyable lucidité. Sur son niveau intellectuel, ses envies, ses défauts, même sur les sentiments qu’il éprouve pour un camarade brillant. Il est beaucoup plus ambivalent dans son lien avec le père de Mathieu. Occupant une place qui n’est pas la sienne, ou tentant d’être un interlocuteur alors qu’il n’a aucune réponse à apporter. Cette expérience, sa compréhension (même tardive) de ce qui s’est joué, l’écrivain le raconte avec sensibilité. Ecrit-on pour tenir les choses à distance ? Pour se les rappeler ? Jean-Philippe Blondel signe là une confession d’une grande humilité.

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coup de coeur

Un hiver nostalgique à Paris

J’ai aimé ce roman, cette pause dans la vie de Victor, jeune homme de 19 ans, en 2eme année de prépa dans un lycée prestigieux de Paris. Il vient d’une famille modeste, n’a pas l’ambition de réussir de prestigieux concours mais il veut devenir prof. Ses profs, sa famille, ses camarades le regardent comme un ovni dans ce monde concurrentiel. Il a réussi à traverser la 1e année, les humiliations, le stress, l’absence de vie sociale. C’est un être solitaire qui regarde sa vie parisienne, ses codes comme au théâtre, il est spectateur de sa vie.

Jusqu’au moment où il décide à quelques jours de son anniversaire d’inviter un autre camarade Mathieu Lestaing avec qui il échange de rares mots et une cigarette de temps en temps. Mais celui se suicide en sortant d’une salle de classe au lycée.

A partir de là la tranquille partition du narrateur avec sa voie tracée va changer et il va voir ce monde de compétition, de cirque de manière différente. Car Mathieu est une sorte de miroir de lui-même, de sa solitude, il se demande pourquoi lui même n’a pas sauté dans le vide ? Pourquoi rester dans ce monde étranger, dans lequel il sait qu’il n’est pas le meilleur ?

C’est un récit initiatique, on voit l’évolution du narrateur, de ses repères, de ses choix. Il se met à se questionner sur le sens de sa vie, sa famille. On a une analyse du monde des prépas, de la bourgeoisie parisienne, qui est très intéressante. Le microcosme de ce lycée, de ces profs qui sont là pour façonner des élites. Les sentiments de malaise, d’être incompris, l’envie d’exister aux yeux des autres de Paul, du père de Mathieu font du narrateur, un être attachant. On replonge dans cet hiver parisien avec nostalgie, de la fin de l’adolescence, des choix de vie et d’une conduite à suivre. Sa vocation d’enseignant et d’écrivain qui nait de ce drame, son immersion dans le monde réel après une année en marge de la société.

Ce récit est très agréable à lire, j’ai apprécié ce côté introspectif et la vision lucide du narrateur sur le monde et sur lui-même. Une fois de plus, le style efficace, poétique parfois de l’auteur m’a conquis. Ce long flashback et la description de ce petit microcosme est très intéressant.

Donc faites une incursion dans le monde de la prépa et des choix déterminants dans la vie, pour comprendre comment un évènement dramatique peut avoir de multiples conséquences et passez un hiver à Paris. Un récit doux et attachant qui vous replonge avec nostalgie dans vos rêves et vos drames d’adolescent.

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coup de coeur

La question de la place dans l’existence

Victor, pas encore vingt ans, démarre sa deuxième année de classe préparatoire à Paris. Invisible, il se laisse porter et regarde la vie passer. Un jour, Mathieu saute, et l’ordre du monde s’en trouve bouleversé.
Pour Victor, le temps s’arrête alors que pour tant d’autres, la vie continue normalement.
Cependant que ne pas s’être tué ne signifie pas nécessairement rester vivant.

Mais Victor qui était transparent la première année, parce qu’il a vu la chute de Mathieu, parce qu’il lui avait déjà parlé, devient soudain l’objet de l’attention collective. Tout le monde s’intéresse à celui qui a connu le suicidé, qui était son ami. Peu importe que ce ne soit pas tout à fait exact : Victor ne parvient pas à refuser le beau rôle qui tout à coup s’offre lui, lui qui n’en cherchait ni n’en attendait aucun. Il choisit d’en profiter pour vivre enfin.

Jean-Philippe Blondel raconte les classes prépa, ces rites de dévalorisation qui perdurent chez les professeurs, tout comme les profils-type de certains élèves. Lui qui sait si bien saisir les instants minuscules, les silences et les attentes, lui qui met du Véronique Sanson dans ses romans, raconte aussi cette impression de décalage horaire quand l’étudiant revient en terres familiales et retrouve les camarades d’hier déjà entrés dans cette vie que l’on dit active.

Ce roman dit cet instant précis, précieux, où l’on découvre que l’on est un individu à part entière. Pas seulement un fils, une fille. Un individu à part entière. Apte à décider de la couleur à donner à son existence, et du chemin à prendre. Apte à désobéir, le cas échéant. Décevoir, si c’est nécessaire. Le poids et la culpabilité de la transgression sociale.
Etre adulte et vacciné ne suffit pas toujours pour être un individu à part entière.

Et si les meilleures décisions étaient celles qu’on prenait sur un coup de tête ?
Tandis que le père de Mathieu fait de Victor le suppléant du fils disparu, plane au-dessus de l’étudiant le fantasme de disparaître pour se réinventer une existence différente ailleurs. Certains l’ont fait, et il n’est jamais trop tard pour changer d’existence.
Il s’agit de penser au présent et pas seulement à l’avenir

Un hiver à Paris pose la question de sa place dans l’existence – celle qu’on se fait, éventuellement différente de celles que les autres envisagent pour soi. Il met des mots sur un rapport familial qui change, dépeint l’étudiant qui soudain a honte de ses parents, qui prend conscience de tout ce qui sépare les deux mondes – le sien et le leur -, du fossé qui se creuse irrémédiablement.
Les regrets des possibles sont lourds à porter. Et il y a mille façons de sauter par-dessus la rampe.

Ce roman doux-amer est aussi le portrait d’un jeune homme qui découvre son penchant pour le monde des vivants. Ecrire est le moyen qu’il a trouvé pour ne pas sauter. A chacun, à tout âge, d’inventer le sien.

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coup de coeur

Une saison en enfer

A voir la couverture de ce livre, avec son ciel laiteux dominant des immeubles parisiens, on s’attend à entrer dans un monde parfaitement ordonné empreint d’un confort feutré.
Or derrière cette apparente tranquillité se cache une violence inouïe. Sans pathos, sans acrimonie, avec au contraire une élégante réserve, Jean-Philippe Blondel lève le voile sur un moment de rupture dans un univers considéré comme le nec plus ultra de notre système éducatif : celui des classes préparatoires.

J’avoue avoir été fortement remuée dès les premières pages de ce livre, tant tout ce qu’il présente soulève en moi de révolte et d’indignation ! Car Blondel nous dépeint un monde où règnent la suffisance, l’appartenance de castes, l’humiliation, la domination et son pendant, la soumission consentie. Il s’agit d’un système d’enseignement basé sur l’acceptation de ces «valeurs», sous peine de s’en trouver exclu d’une manière plus ou moins brutale et radicale, pouvant aller jusqu’au suicide, comme c’est le cas ici.

Le héros de Blondel, Victor, est un jeune provincial qui a été pris dans une classe préparatoire littéraire d’un lycée parisien. Il est en khâgne, c’est à dire en deuxième année, lorsqu’il se rapproche d’un élève de première année (hypokhâgne) ayant un profil comparable au sien. Il est à même de saisir les affres que connaît le jeune homme : le déracinement, la solitude, le mépris des autres élèves, majoritairement issus de la petite ou plus grande bourgeoisie parisienne, dont il ignore les codes. L’humiliation, que certains professeurs ont érigée en méthode pédagogique, est alors d’autant plus difficile à supporter. La charge écrasante de travail prive de pouvoir s’épanouir ailleurs, – libérer son esprit au cinéma, dans des lectures personnelles ou dans de simples déambulations. La crainte de donner à voir sa détresse consécutive aux mauvaises notes et à la difficulté de créer des liens creuse la distance avec la famille. Lorsque tous les éléments sont réunis, l’abîme peut se révéler vertigineux…

Alors on peut dire que Blondel rend compte d’un cas extrême. Certes. Heureusement, oserais-je dire. Mais il n’empêche que ce système n’est pas sans risque sur certains individus, très jeunes, en train de se construire. Pour avoir, peut-être, pressenti cette violence, alors que j’avais l’âge de Mathieu, j’ai claqué la porte d’un de ces établissements pour me tourner vers la fac, quelques jours seulement après la rentrée.
En outre, ce système prétend former nos élites et ce sont ces personnes-là que nous retrouvons à la tête de notre pays, qu’elles occupent des fonctions politiques ou économiques. Et on retrouve dans nombre d’entreprises des comportements calqués sur cette mentalité. Cet entre-soi, ce sentiment de supériorité qui produit les petits chefs avides d’humilier et écraser leurs subalternes pour en faire de serviles exécutants au lieu de favoriser l’expression de leurs compétences. Tout comme l’odieux professeur de français a poussé le jeune Mathieu à sauter dans le vide, alors même qu’il était un brillant et entreprenant jeune homme.

Et le pire reste bien que tout cela soit accepté, que chaque élément de la chaîne participe sciemment à faire perdurer les choses – avec la dose de cynisme que cela suppose et que Blondel ne manque pas d’épingler.

Pourtant, on peut aussi se réjouir qu’un système aussi contraignant et formateur – au sens de formater – puisse paradoxalement faire naître la créativité et le désir d’accomplissement par des voies personnelles. Car le narrateur ne saute pas dans le vide : il choisit d’emprunter la voie de l’écriture pour «tisser un filet au-dessus du gouffre». Sa vie peut alors commencer, dit-il.
Et, en mettant en mots ce moment fondateur, le narrateur, qui se confond à la fin du roman avec l’auteur par un très joli effet de miroir, nous offre le magnifique récit que nous tenons entre les mains: un récit délicat, humain, qui transcrit avec finesse la manière dont chacun accepte de tenir son rôle pour permettre à la pièce de se jouer jusqu’au bout et en tirer les bénéfices attendus. Quels que soient les incidents de parcours.

Quoi qu’il en soit, pour Blondel, le choix de la littérature fut assurément le bon.

retrouvez Delphine Olympe sur son blog

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