Il est toujours passionnant, ce moment où un auteur nous donne ses clefs. Ce moment où il nous permet d’entrer dans son atelier. Où il accepte de se pencher sur sa création et de nous expliquer comment il a écrit ses livres.
Troisième volet d’un travail autobiographique commencé en 2011 avec « Comment gagner sa vie honnêtement », ce délicieux « Un peu la guerre » s’avère être un précieux document pour tous ceux qu’intéresse l’œuvre de cet auteur devenu célèbre un beau jour de 1990 pour avoir décroché le Goncourt avec son premier roman, « Les champs d’honneur ».
Presque vingt-cinq ans plus tard, Jean Rouaud revient donc sur ce qui l’a fait écrivain, sur les sources de son écriture, et particulièrement sur l’essence de sa première œuvre publiée, si inclassable que dans un premier temps aucun éditeur n’en voulait, jusqu’à Jérôme Lindon, dont il dresse au passage un magnifique portrait. Le directeur des Editions de Minuit avait, apprend-on, hésité avant d’inscrire dans son programme de rentrée ce curieux livre sans narrateur identifié.
Tout commence dans les années soixante-dix, le jeune homme – grandi dans un territoire rural qu’il est le dernier aujourd’hui à appeler Loire inférieure – s’inscrit en fac de lettres. Il se rêve romancier mais fait alors une découverte qui le stupéfie : le roman est mort, tous les théoriciens de l’époque le disent. Comment composer avec cette mort, pour lui qui a dû se débrouiller avec bien d’autres décès, en particulier celui de son père qui pèse toujours sur sa vie ?
De chapitres en chapitres, de phrases en phrases, avec ce sens de la digression et cette autodérision qui n’appartiennent qu’à lui, Jean Rouaud raconte son monde, ses morts et ses guerres. Celle de quatorze d’abord, avec ses milliers de disparus qui enterrent le XIXe siècle et ses rituels immémoriaux, rassurants, de la Loire inférieure, mais façonnent son imaginaire. Ses batailles aussi contre lui-même, sa timidité, contre le monde alentour où il est compliqué de trouver sa place. Et sa lutte, surtout, pour écrire, pour accéder à sa personnalité d’auteur, et chercher dans le rythme d’une phrase quelques reflets de son paysage intérieur. Il raconte son ambition, son combat acharné et constant pour parvenir à dire le monde et le siècle, leurs changements et le temps qui passe, à travers une œuvre romanesque où il a érigé quelques figures – la grand-tante – et quelques lieux – la boutique familiale – au rang de grands témoins.
Plus théorique que ses précédents textes, mais non moins savoureux et drôle, « Un peu la guerre » peut donc être lu, au-delà de son caractère autobiographique, comme un questionnement sur ce qu’est la littérature aujourd’hui.