Le deuxième roman de S.J. Watson était très attendu. Dès son coup d’essai, ce quadra britannique jusqu’alors inconnu avait en effet signé un best-seller international. Sorti en 2011, « Avant d’aller dormir » s’est vendu à 40 millions d’exemplaires dans le monde. Il a même eu droit à une adaptation au cinéma avec Nicole Kidman dans le premier rôle, celui d’une femme qui se réveille dans une vie qu’elle ne reconnaît pas. Tout cela s’oublie d’autant moins que ce premier thriller n’a pas suscité que des louanges, loin de là. Le suivant allait-il répondre aux mêmes recettes et rencontrer le même accueil contrasté ?
Cette fois, il n’est pas question d’amnésie, mais de double vie (le titre original, « Second life », est un clin d’oeil à un jeu virtuel). L’héroïne d’ « Une autre vie », Londonienne BCBG et photographe à ses heures, perd brutalement sa jeune sœur, assassinée en pleine rue à Paris. Doutant de l’implication des enquêteurs, elle fouine, apprend par une amie que sa cadette fréquentait des sites coquins et s’y inscrit elle-même pour nouer des contacts. En cachette de son mari et de son fils ado, cette bourgeoise hantée par ses propres excès de jeunesse prend goût aux « tchats » nocturnes, accepte de rencontrer le premier homme qui se manifeste et finit aussitôt dans son lit.
Lorsque leur liaison passe du torride au violent, elle se raccroche à l’alibi de son enquête puis admet assez vite qu’elle aime ça. On voit bien où l’auteur veut en venir. Injecter une dose de « 50 nuances de Grey » dans une mécanique à la Harlan Coben, pourquoi pas ? Ce côté scabreux n’est pas forcément déplacé dans un genre littéraire dont la part d’ombre des personnages est un des ressorts. Sauf qu’ici, face au jeu de cet amant plus que louche, l’ex-junkie devenue bourgeoise ne voit rien, ne subodore rien. Son aveuglement en devient pathétique et le trouble recherché vire à la gêne, voire au malaise.
On devrait s’émouvoir pour cette femme qui se cherche à la quarantaine. Mais S.J. Watson, plus E.L. James que Coben, néglige de la valoriser. Alors qu’il la dit rongée de chagrin et débordante d’amour pour ses proches, elle leur témoigne si peu de sympathie qu’elle ne gagne pas la nôtre. Dès lors, tous les clichés qui cernent le personnage sautent aux yeux comme autant de boulons mal serrés : ce passé marginal qui resurgit, ce mari chirugien réputé (pourquoi les romanciers sans imagination ciblent-ils tant les chirurgiens ?), ce fils qui n’est pas le sien (parce qu’en plus, elle ne peut pas voir d’enfant), cette propension au mensonge et à la dissimulation, ces pulsions SM incontrôlées … Trop, c’est trop. Jusqu’à ce final où, croyant surprendre, l’auteur se sent obligé de ménager une cascade de retournements. La chute se veut vertigineuse, elle est juste risible.