« Tu n’aurais pas dû » dit Anne à son mari, Etienne. Celui–ci a battu le fils d’Anne, Louis, seize ans. Une fois de plus, une fois de trop. Et Louis, qui ne s’est jamais senti le bienvenu dans la belle maison de celui qui a épousé sa mère, un jour, ne rentrera pas. Disparu, envolé. Pour sa mère commence alors une interminable attente, une nuit implacable. Malgré ses deux autres enfants, encore tout petits, en dépit de l’amour maladroit d’Etienne, Anne attend inlassablement le cargo qui, elle en est sûre, lui ramènera son fils.
Tandis que les jours se ressemblent, que la folie guette le long de la falaise, dans la lande, Anne se souvient de sa jeunesse, de son chagrin quand le corps d’Yvon le pêcheur, le père de Louis, n’a pas été retrouvé après une journée en mer, de la cour qu’Etienne, le pharmacien aisé du village, lui a faite, des ragots des voisins. Chronique d’un amour insatiable, portrait de femme à vif, récit d’un couple mis à mal par cette fugue qui s ‘éternise, « Une longue impatience» nous bouleverse dès la première ligne grâce à l’écriture, percutante, aux phrases courtes et ciselées, qui nous emmène loin, très loin. Sur une terre de Bretagne où une femme, malgré les épreuves, tente de tenir debout. Poignant.
Anne Le Floch, femme de marin vit dans une petite maison de pêcheur. Après la disparition en mer de son mari Yvon, elle élève seule son fils Louis. Nous sommes juste après guerre, la vie est rude et dure. Anne travaille dans une conserverie.
Après une attente de deux ans, durée de veuvage oblige, Etienne Quémeneur, le pharmacien du village, notable, la demande en mariage et lui promet d’aimer et d’élever Louis comme son propre fils. Il l’aime en cachette depuis le temps béni de l’école. Voici Anne le Floche devenue Anne Quéméneur débarquant, la bague au doigt dans le grand appartement au-dessus de la pharmacie.
Bientôt deux autres enfants naissent Gabriel puis Jeanne. Le bonheur aurait dû être parfait. Oui mais voilà, Louis ne reçoit plus les attentions de Quémeneur mais plutôt les brimades jusqu’aux coups de ceinturon de trop. Pouraquoi Quémeneur agit-il ainsi ? Est-ce le fait que ce soit le fils d’Yvon qu’il sait n’avoir jamais remplacé dans le cœur d’Anne ? Est-ce également ce que lui a connu avec son propre père ?
Toujours est-il que ce soir, rue des Ecuyers en ce mois d’avril 1950, Louis n’est pas rentré.
« Ce soir, Louis n’est pas rentré. Je viens d’allumer les lampes dans le séjour, dans la cuisine, dans le couloir… Elle n’éclaire qu’une absence. »
L’attente infernale débute. Anne sera un fantôme parmi les siens, toute entière dans l’attente, l’espoir de revoir Louis.
Un livre magnifique, profond sur l’absence et son corollaire, l’attente. Louis est supposé vivant, il s’est engagé sur un bateau. Pour supporter l’absence, Anne lui écrit des lettres, où elle lui raconte le repas magnifique qu’elle concoctera pour son retour. Ces missive, qui ne partiront jamais ?, lui permettent de maintenir Louis dans son réel.
Il n’y a plus de futur au dehors de Louis. Anne passe son temps, hors les occupations ménagères et le soin aux deux autres enfants, à surveiller les arrivées des bateaux de commerce, à espérer. Elle marche sur le fil qui la sépare de la folie, elle est au bord de la falaise physiquement et mentalement.
Anne survit pour donner à ses deux autres enfants et son mari, les soins qu’ils demandent, mais en est-elle capable ? Je plains Gabriel et Jeanne qui ont manqué de cet amour maternel, qui n’ont pu jouir de la présence pleine, entière et aimante de leur mère. Ce départ brusque est définitif a redessiné la vie, l’atmosphère de la famille.
A travers Anne, Gaëlle Josse, par ses phrases ciselées, ses mort si vrais, parle de toutes ces mères dont un enfant a disparu, la douleur de l’absence et l’attente interminable qui sape les bases de leurs vies.
Un superbe livre poignant, un coup de cœur.
Au port, chaque pêcheur se souvient qu’elle est la veuve d’Yvon le Floch, son mari gardé au milieu des flots, son corps jamais rendu par la mer. S’habituer à un deuil sans corps, sans autre preuve que l’absence, sans rien pour déposer ses larmes. De veuve le Floch elle est devenue Madame Quémeneur, la femme du pharmacien, les regards, les convenances, pèsent si lourds ici. Les conversations cessent dès qu’elle arrive, les ragots, les rancoeurs, les rumeurs. Aujourd’hui, elle cherche dans sa nouvelle maison un coin à elle, un refuge, mais elle ne le trouve pas.
Depuis la naissance des petits, Étienne, son nouveau mari ne supporte plus son fils Louis, qui lui rappelle qu’elle a été la femme d’un autre homme. Elle s’épuise à cette vaine répartition de l’amour. Étienne a annoncé à Louis son départ pour la pension, le soir Louis n’a pas reparu. Il n’a laissé aucun message, il n’a rien dit au cours des jours précédents, rien qui puisse donner une piste, son absence est sa seule certitude, c’est un vide dans lequel elle sombre.
Il est son fils, sa vie, il s’est embarqué à destination de la Réunion. Depuis, chaque jour, elle l’attend. Elle longe la falaise, sur le chemin des douaniers, elle guette, elle fixe l’horizon pour y déceler le bateau qui la rendra à la vie. Elle lui écrit de longues lettres où elle lui raconte la fête et le festin qu’ils feront à son retour.
Le portrait magnifique d’une femme et d’une mère qui ne cesse de se tourmenter pour l’enfant un jour sorti de son flanc, qui est parti en mer, depuis elle le suit sur un globe terrestre, sa raison de vivre c’est l’attente de son retour. Les dernières pages sont absolument extraordinaires, elles nous transportent littéralement. Gaëlle Josse sait trouver les mots pour nous décrire d’une façon pudique et bouleversante, l’amour d’une mère et la douleur de l’absence. Une plume d’une grâce infinie qui nous touche au plus profond de notre âme.
Je viens de finir Une longue impatience, le dernier roman de Gaëlle Josse, et mon émotion est telle que, c’est bien simple, je me sens tout à fait incapable d’en parler.
Je suis sans voix.
Tout à l’heure, alors que je déjeunais avec une amie, j’ai tenté de lui dire quel était le sujet du roman. Le sujet, pas plus. Juste quelques mots. J’en fus incapable. Immédiatement, des images me sont venues à l’esprit et elles furent immédiatement accompagnées de larmes.
J’ai dû renoncer.
Je ne peux pas parler de ce livre, de cette histoire, de ces personnages sans pleurer.
Je ne sais pas si c’est le thème qui m’a touchée (une femme qui attend le retour de son fils), je ne sais pas si c’est l’écriture : des mots simples, justes, sensibles qui filent droit au coeur, je ne sais pas si ce sont les descriptions à la fois poétiques et sobres ou bien le portrait fin et nuancé des personnages ou encore cette pudeur, cette grâce, cette délicatesse qui enveloppe chaque ligne de ce récit.
Je ne sais pas pourquoi les mots de Gaëlle Josse me bouleversent tant.
Ce que je sais par contre, c’est que j’ai du mal à parler de son roman.
Peut-être aurais-je dû attendre un peu avant d’écrire ma chronique mais à mon avis, les images de ce récit sont tellement ancrées en moi que rien n’y fera, l’émotion sera toujours aussi intense.
Ce que je sais aussi, c’est que moi qui prête volontiers mes livres, celui-là, je ne le prêterai pas. Jamais. J’aurais l’impression de donner un bout de moi-même. Non, il restera près de moi, dans ma bibliothèque, à portée de main, toujours.
Je sais aussi que si un jour, je rencontre l’auteur, je ne pourrai pas aller lui parler de son roman. L’émotion m’en rendra tout simplement incapable.
Drôle de billet que celui-ci, me direz-vous.
Un peu en vrac, comme ce roman m’a laissée.
« Ne me secouez pas, je suis pleine de larmes. »
Je cite juste deux extraits, ce ne sont pas forcément les plus beaux, tout le texte est une splendeur. Deux passages pour que vous puissiez lire les mots de Gaëlle Josse.
« Je suis envahie, pénétrée, toute résistance devenue inutile, par les coups sourds, aveugles, insistants d’une souffrance qui ne me laisse aucun repos. Je vis avec une absence enfouie en moi, une absence qui me vide et me remplit à la fois. Parfois, je me dis que le chemin qui me happe chaque jour est comme une ligne de vie, un fil sinueux sur lequel je marche et tente d’avancer, de toutes les forces qui me restent. De résister au vent, aux tempêtes, au Trou du diable, aux larmes, à tout ce qui menace de céder en moi. Il me faudrait chercher des arrangements pour enjamber chaque jour sans dommage, mais je ne sais rien des arrangements. »
« J’attends un signe, un courrier, quelque chose sur lequel m’appuyer. Tout ce que je veux, c’est que Louis rentre. Je voudrais retrouver notre unité première, rompue à la naissance, l’oeuf primordial, à nouveau. Réparé, retrouvé, intact, le temps obscur et doux de l’inséparé. J’attends que mon fils me redonne vie, qu’il me fasse renaître, me réveille, me ressuscite. Alors nous serons quittes. »
Quelle chance pour les Edts Notabilia d’éditer 3 romans de G Josse.
J’ai eu moi aussi la chance de rencontrer et surtout d’écouter cette femme magnifique parler de son court mais si intense roman la semaine dernière au Forum des livres de Rennes.
Ses réponses claires, posées, ses réflexions profondes, l’univers des sentiments qu’elle exprime si bien correspondent tout à fait à son écriture, et nous aurons encore de magnifiques textes à lire dans les années à venir.
G. Josse est bretonne, et n’a pas eu besoin de se documenter pour décrire merveilleusement bien le décor de son roman.
Dans les années qui suivent la guerre, Anne, est veuve d ‘un marin non pas mort en mer comme un pêcheur, mais bombardé par l’aviation anglaise qui voulait affamer les allemands peut-être, mais toute la population également.
Cette jeune femme donc , mère d’un petit garçon, Louis, son enfant chéri, se remarie avec un pharmacien, lui-même fils du pharmacien du village , mariage étrange pour certains, trop de différence de classe sociale , d’ailleurs Anne elle-même en sentira le poids toute sa vie, malgré un véritable amour partagé et deux naissances d’enfants adorés.
Le thème du remariage est donc abordé avec ses pièges, qui ne s’ouvrent que plus tard.
Louis , le fils d’Anne en est la première victime et disparaît.
Là , commence le chemin de croix d’une mère touchée au cœur et au ventre, cette quête incessante , la recherche, l’espoir infime qu’il se soit embarqué et qu’il navigue du côté de Valparaiso peut-être…
Et puis soudain , dans la petite maison de sa première vie, elle écrit à Louis, lui dit son amour , lui promet un fabuleux festin pour son retour (le festin de Babette revient tout de suite en mémoire), Elle écrit ainsi de nombreuses lettres lui détaillant les agapes qu’elle lui préparera, il sera entouré d’amis , de joie retrouvée. Ce sont les passages les plus douloureux du roman quand elle veut ainsi emplir le manque.
La fin du livre est à découvrir bien sûr.
Déchirant , ce cri primal de douleur d’Anne , touchée au plus vif d’elle même ne pouvait que s’exprimer par la plume d’une femme sensible ; c’est vraiment une belle lecture.