La campagne anglaise à la fin du dix-neuvième siècle. Longbourn, un domaine humble mais confortable. Cinq jeunes filles, Jane, Elizabeth, Mary, Kitty et Lydia qui flanent, brodent, virevoltent ou lisent dans le jardin. Une mère futile et sans-gêne cherchant à tout prix à les marier. Un père aimable et bienveillant mais qui se réfugie volontiers dans sa bibliothèque pour ne plus entendre les sottises et autres jérémiades de sa femme. Et des noms célèbres qui résonnent : Benett, Collins, Bingley, Gardiner, Wickham… sans oublier un certain Monsieur Darcy. Le tout est un classique de Jane Austen : Orgueil et préjugés.
Fascinée par l’oeuvre de l’auteure anglaise, Jo Baker a choisi d’ «habiter» son livre, selon ses mots d’une autre manière. Avec habileté et intelligence, elle place dans la lumière ceux que l’on voit à peine, mais que l’on devine : les domestiques. Ce changement d’angle permet toutes les audaces. Jo Baker façonne ainsi les personnages jusqu’ici restés dans l’ombre, elle les dote d’un regard propre sur l’histoire originelle de la famille Benett. Et invente de nouvelles situations en gardant cependant le déroulement d’Orgueil et péjugés avec ses événements importants.
Cet envers du décor est passionnant. On est bien loin du règne de l’apparence, des toilettes bien mises, du faste des bals, des conversations futiles, du bien-être matériel… Ici, Mrs Hill l’intendante, son mari, Sarah et Polly les femmes de chambre et James, le valet gravitent en coulisse. Leurs journées sont longues, ils se lèvent à l’aube, se couchent tard. Bravent le froid pour ramener l’eau du puit, récurent et polissent, cuisinent, lavent et frottent, habillent leurs maîtres, préparent leurs valises, dressent et débarrassent les tables, partent faire des courses à tout heure, vident les pots de chambre, nettoient les chaussures crottées…
Mais, malgré leur travail harassant, ils rêvent eux aussi. Sarah, surtout. Ce personnage ressemble un peu à Elizabeth, elle est volontaire, courageuse, ne se laisse pas marcher sur les pieds et aimerait voyager, découvrir d’autres contrées, rencontrer l’amour.
Jo Baker insiste davantage sur l’aspect historique avec les guerres napoléoniennes (James est un ancien soldat et un flashback très interessant revient sur cette période), sur les conditions de vie (sur la domesticité évidemment, et plus particulièrement sur la condition de la femme). Elle se montre aisément cynique (fait de Wickham est un personnage encore plus détestable que dans le roman de Jane Austen). Une saison à Longbourn est un livre sombre à bien des égards, on entrevoit vraiment la vie telle qu’elle devait être à cette époque, avec sa misère et ses difficultés et ses secrets lourds non sans conséquences.
Une astucieuse adaptation et des personnages émouvants. Un très bon roman.
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