La rédaction l'a lu
Un polar rockIl s’appelle Vernon et, dans le temps, il tenait un magasin de disques. Autant dire qu’il était l’idole des jeunes qui se retrouvaient dans son antre pour découvrir des pépites et avaient fini par former tout un groupe informel, ses potes. Aujourd’hui, les années ont passé, tout le monde a vieilli et s’est éparpillé, et Vernon a dû fermer boutique dans l’indifférence générale, flingué au champ d’honneur par la dématérialisation de la musique. Il a un moment survécu en vendant petit à petit sa collection de vinyles. Là, il commence à être à sec. Et Virginie Despentes fait de Vernon le héros romanesque de ce début d’année. Tout débute sur une mort inexpliquée. Celle d’Alex Bleach, le seul parmi ceux qui ont fréquenté la boutique de Vernon à être devenu une rock star, adulée et richissime mais, pour une raison inexpliquée, éternellement malheureux. Bleach vient d’être retrouvé mort dans une chambre d’hôtel. Au-delà du deuil, du vide que laisse cette disparition parmi ceux qui l’ont connu au temps de la boutique de disque, le problème est que Bleach, par amitié, payait le loyer de Vernon. Qui se retrouve donc assez vite à la rue, expulsé de son appartement. Vernon n’a pas grand-chose pour se refaire, sauf un enregistrement que Bleach a réalisé un jour chez lui, une nuit plus exactement, et qui contiendrait une confession, sorte de testament que Vernon n’a pas pris la peine d’écouter. Pourrait-il le vendre ? Il en parle un peu mais, sur l’instant, n’intéresse personne. Il lui faut pourtant trouver où dormir, et commence alors une longue errance dans Paris, Vernon squattant chez les uns ou chez les autres, quelques jours ici quelques jours-là, recontactant d’anciens amis et amies, auxquels il tente de cacher d’ailleurs sa situation catastrophique. Pendant ce temps, l’affaire d’une mystérieuse confession de Bleach s’est ébruitée, un producteur s’est mis sur les rails et lance un avis de recherche sur Vernon qui, justement, est introuvable puisqu’il n’a plus d’adresse et change de domicile presque tous les soirs, jusqu’à se retrouver à la rue, transformé en un clochard apeuré et tremblant. Virginie Despentes a ainsi judicieusement construit ce texte (ce n’est ici que le premier tome, le volume suivant et ultime étant prévu pour mars) comme un polar et nous entraîne dans un réjouissant suspense : que contiennent exactement ces cassettes ? où sont-elles désormais ? va-t-on parvenir à mettre la main dessus ? Vernon en tirera-t-il un quelconque bénéfice ? Cependant l’intérêt de ce livre est ailleurs. Parce que Vernon passe d’un appart à un autre, d’un copain à un autre, d’une femme à une autre, Despentes nous offre une galerie de portraits extrêmement fouillés et écrit, à sa manière, une comédie humaine moderne, juste et lucide, sorte de bilan de notre époque teinté d’une vraie colère. Du petit bourgeois au clodo, de la jeune étudiante voilée à la star du porno, du golden boy à l’artiste raté, tout le monde y passe. Et les milieux de la télé, du cinéma, de l’édition, sont analysés au scanner impitoyable de l’œil acéré de Despentes. L’auteur nous met face aux bassesses de la jungle libérale et décèle chez chacun les noirceurs, les failles, les renoncements et les contradictions. Et, parfois, pointe dans son propos une nostalgie : celle d’un monde où la contre-culture n’avait pas encore été récupérée par la pub et l’entertainment.
Les internautes l'ont lu
coup de coeur
Histoire d’une déchéance.
La vie de Vernon Subutex va changer au décès de son ami Alex Bleach, un chanteur célèbre. En effet, c’est Alex qui l’aidait à payer son loyer depuis quelques temps. Vernon était disquaire, il a dû fermer « Revolver » son magasin suite à l’évolution du monde du disque, le commerce péréclitait. C’est la descente aux enfers qui commence pour Vernon, il perd tout et se fait expulser. Il cherche des potes pour l’héberger avant de sombrer encore…. Il est en possession de cassettes que Bleach avait filmé chez lui et lui avait remis en lui disant que c’était son testament. Beaucoup de personnages dans ce roman, petit à petit on comprend que le point commun est le lien de près ou de loin avec Alex Bleach et Vernon en est le fil rouge. Avec son écriture fluide, brute, souvent crue, Despentes nous parle de l’évolution du monde du disque, du cinéma, de l’internet, des réseaux sociaux. Sexe, drogue et rock’n’roll au programme. Beaucoup de personnages, j’avoue m’être parfois perdue dans le nombre, ne pas comprendre comment ils arrivaient là mais Virginie Despentes savait elle où nous emmener car un lien se tissait progressivement entre eux. Une société bien décrite, le Paris branché truffé de références musicales, de la bourgeoise huppée, riche et dépressive à l’ex-vedette du porn star transgenre, à la pseudo écrivaine biographe, au scénariste, trader…. bref avec brio elle brosse les différentes couches sociologiques. Un regard acide sur les relations humaines. Un ton vif, incisif, un franc-parler qui nous donne un récit tout simplement jubilatoire. J’ai hâte de lire le tome deux qui vient de rejoindre ma MAL. Ma note : 9.5/10 Les jolies phrases La vie se joue souvent en deux manches : dans un premier temps, elle t’endort en te faisant croire que tu gères, et sur la deuxième partie, quand elle te voit détendu et désarmé, elle repasse les plats et te défonce. Mais l’amitié fait ça : on apprend à jouer sur le terrain de jeu des autres. Internet, pour un parent, c’est comme si on te volait ton gosse avant même qu’il sache lire. Vernon est resté bloqué au siècle dernier, quand on se donnait encore la peine de prétendre qu’être était plus important qu’avoir. Seuls les tout petits chefs jouissent de leur pouvoir -au-dessus, on ne connaît que la peur de se faire poignarder dans le dos, la rage des trahisons et le poison des fausses promesses. Internet est l’instrument de la délation anonyme, de la fumée sans feu et du bruit qui court sans qu’on comprenne d’où il vient. Les choses ont changé. A notre époque, si on aimait faire chier le monde, on faisait du X, mais aujourd’hui porter le voile suffit. Lancer un lynchage médiatique est plus facile que faire décoller un buzz positif – elle prétend qu’elle sait faire les deux, mais l’époque plébiscite la brutalité. Celui qui défonce est celui qu’on écoute – il faut toujours prendre un pseudonyme mâle pour malmener quelqu’un. Changer, c’est toujours perdre un bloc de soi. On le sent qui se détache, après un temps d’adaptation. C’est un deuil et un soulagement en même temps. Personne n’accepte la première gifle si elle ne vient pas accompagnée d’un flot merveilleux d’excuses, de promesses, une intensité de ne pas vouloir te perdre, de ne pas envisager de te perdre. Ceux qui peuvent te tuer sont toujours ceux qui tiennent le plus à toi. Quand elle a vraiment envie d’eux, c’est qu’elle sent qu’ils pourraient la tuer. La peur. Il ne la connaissait pas encore. Elle venait de s’accrocher aux viscères et ne bougerait plus. La peur qu’il arrive quelque chose à cette petite créature.. Et il avait suffi d’une seconde à ce « quelque chose » pour se déployer entièrement : maladie, blessure, agression, accident, contagion, violence, torture, faim, abus, attouchement, pénétration, kidnapping, enfermement, incendie, attentat, obus, guerre, épidémie, tsunami, typhon, étouffement… « La prunelle de mes yeux. » L’expression peine à rendre ce qui lie le parent à son nouveau-né. La prunelle de ses yeux, on pouvait la lui arracher sans qu’il tombe – la moelle de mes os s’approcherait davantage, pour dire que ça parcourt tout ce qu’on est, et qu’il s’agit du lien qui s’établit, avant même qu’on soit capable de reconnaître son enfant parmi les autres. Il était à peine arrivé, et déjà la terreur avait rempli Patrice. Quand on se retrouve du côté des pestiférés, une fracture nette sépare votre monde de celui des épargnés. On ne veut ni charité, ni empathie. Au fond, on préférerait ne plus avoir aucun contact. De chaque côté des frontières, les mots n’ont plus le même sens. Si seulement il pouvait s’éteindre, comme ça dans l’heure – il imagine la flamme d’une bougie qui vacille puis faiblit et la mèche noire, un rien rouge et puis plus rien. Mais on ne meurt pas de désespoir, en tout cas pas si facilement. retrouvez Nathalie sur son blog
coup de coeur
Sur Vernon Subutex (I)
Un grand livre, tellement facile à lire qu’on a l’impression (fallacieuse) d’avoir pu l’écrire soi-même. Juste une infime et dérisoire critique: dans le chapitre consacré au sinistre Kiko, l’auteur confond « algorithme » et « logarithme »! C’est pas pareil!
coup de coeur
Un grand coup de poing dans le sternum
Bon , alors dès la première page tu sais que ce n’est pas vraiment le bouquin qui va te remonter le moral. De Virginie Despentes je n’avais rien lu jusque là. Réputée trash, son écriture faisait probablement un peu peur à la Madame Proprette que j’abrite à l’insu de mon plein gré. Et puis l’autre jour à La Grande Librairie, Virginie Despentes m’a tapé dans l’oeil : sa classe, sa précision, son calme totalement non cathodiques m’ont séduite et j’ai décidé de dépasser mes préjugés. Tant mieux. Vernon Subutex, c’était son pseudo de disquaire. Il a tenu boutique du côté de République pendant plus de vingt ans. A l’enseigne de « Revolver » . Tous les gars passaient par là, racontaient leurs aventures de rockers, partageaient un peu plus qu’une discussion avec ce gars pas chiant et qui connaissait bien son boulot. C’était sa vie , il l’aimait bien, ou plutôt il ne se posait même pas la question. Vernon est resté bloqué au siècle dernier, quand on se donnait encore la peine de prétendre qu’être était plus important qu’avoir. Et il ne s’agissait pas toujours d’une hypocrisie. Il a passé sa vie avec des filles qui se foutaient de savoir qu’il était interdit bancaire Et voilà c’est parti : de cette dégringolade un peu pathétique mais qui ne semble pas si irrémédiable, Despentes va tirer le portrait d’une certaine société, très parisienne certes, et assez branchouille, mais pas seulement. Il n’y a pas de mépris de classe dans son regard,ce qui lui évite de n’être qu’une insupportable bobo qui regarderait « de haut ». Elle met les mains dans le cambouis, on se doute qu’elle en a bavé elle-même… Alors c’est vrai , si vous ne vous êtes jamais drogué , prostitué, si le monde du porno se passe de vous, au début vous êtes un peu largués, mais vous comprenez peut-être aussi que vous avez eu la chance d’être épargné , d’une certaine manière … Sacrée galerie de portraits : le scénariste bien-pensant mais facho dans sa tête qui vitupère intérieurement au Monoprix, Lydia Bazooka la journaliste de rock désinhibée, Kiko le trader ultraspeed, la Hyène qui organise des lynchages médiatiques contre finances et sans états d’âme, Marcia le brésilien-brésilienne qui sera le dernier grand coup de coeur de Vernon, Patrice qui ne sait parler qu’avec ses poings -j’en ai eu mal au ventre- Olga la sdf avec une conscience de classe, Noël le jeune faf qui range toute la journée les fringues chez HetM dans une rage grandissante, et puis la maman d’un ami d’enfance qui est bouleversée de croiser Vernon dans un jardin public, et qui nous bouleverse à son tour… Emilie était un mec de la bande . Quand elle montait dans un camion, c’était en portant son ampli. Elle était fière de tenir l’alcool, elle avait de l’humour, une belle collection de disques et pas peur de se la donner, sur scène. Adoptée. Puis le groupe avait splitté. Le magasin de disques avait fermé. Les uns et les autres avaient fait leur vie. Et les copains avaient oublié de l’appeler. (…) Elle est submergée par une tendresse qui n’a rien à voir avec du désir, qui n’est pas celle non plus qu’on porte aux enfants. Une tendresse de femme adulte dont le caractère ploie devant la fragilité de l’autre. Elle lutte pour ne pas pleurer. Ca fait peu de temps qu’elle y arrive (…) Les gens qui ne sont pas de la partie ne comprennent pas. Ils pensent qu’il étudie des entreprises. Kiko est un sprinter. Il réagit au centième de seconde, il marche au rythme des machines. Black holes. Un krach boursier dure une seconde et demie. Les bénefs se comptent en milliards. Ou les pertes. Et tu es responsable. C’est l’infra-instabilité. Pas le temps de toucher le sol, il vire au diapason du logarithme. Branché sur une pulsation souterraine, que l’humain lambda ne perçoit pas. Il réagit calé sur la vitesse du son. Ca se compte en milliards , et ça se compte en secondes. Patrice met la radio et allume son ordinateur. C’est ce qu’il fait tous les matins. Il sait que ça le rend fou. Dans les années 80, quand il a commencé à acheter la presse et écouter la radio , c’était différent. Il y avait des points de colère, mais il y avait aussi des journalistes qu’il aimait lire ou écouter. Le rapport aux médias n’était pas exclusivement constitué de défiance et d’hostilité. Aujourd’hui (…) ça lui rentre dans le cerveau, en tentacules empoisonnés, et ça ne génère aucune analyse, juste de la fureur. Une envie, d’en découdre, en bloc, une nausée morbide. Il n’a pas envie de joindre sa voix à la cohorte, il n’a pas envie d’ouvrir un blog pour déverser sa bile, il n’a pas envie d’ajouter au flot de merde sa petite crotte de débile. Mais il est incapable de s’arracher à la fenêtre, ouverte. Il a l’impression, chaque matin, de s’asseoir et regarder le monde pourrir. Et des élites dirigeantes, nul ne semble prendre conscience de ce qu’il y a urgence à faire machine arrière. Au contraire, on dirait que tout ce qui les préoccupe, c’est foncer vers le pire, le plus rapidement possible. Despentes parle beaucoup de l’impuissance, l’impuissance à mener sa vie , à ne pas pas subir, et à ne pas se corrompre au contact d’une certaine laideur du monde . Il y a une pseudo histoire de cassettes -testament d’un rocker célèbre qui font courir pas mal de monde aux basques de Vernon, mais ce n’est qu’un prétexte , on s’en tape un peu. C’est juste un fil conducteur qui permet des changements de focale. La suite sort ces jours-ci mais ce tome 1 peut très bien se suffire à lui-même. Si j’ai lu les excellents billets de Micmélo, Papillon, Cuné , par exemple, ou celui de Gonzaï (webzine) je trouve ce livre bizarrement sous-chroniqué dans la blogo . Balzac est souvent évoqué dans les commentaires sur ce bouquin. Moi j’ai pensé à Houellebecq . Retrouvez Mior sur son blog Une belle galerie de portraits
Ce livre me laisse une impression mitigée. Je n’ai pas d’avis tranché dessus. Je l’ai lu rapidement – on entre dedans sur les chapeaux de roue, certains passages sont brillants, mais, à mi-chemin du récit, je me suis un peu ennuyée… avant d’y retrouver de l’intérêt. A travers une foisonnante galerie de personnages, Despentes propose une peinture de notre société. On a ici et là évoqué Balzac à son sujet, sur la suggestion de la quatrième de couverture présentant son roman comme une «comédie inhumaine». Pourquoi pas. Attendons de voir la suite : les deux autres tomes qui nous sont promis à Vernon Subutex et les romans à venir de Virginie Despentes. Car La comédie humaine était l’œuvre d’une vie. Chaque volume constituait la pierre d’une architecture beaucoup plus vaste donnant au final une représentation riche et globale de la première moitié du XIXe siècle. A vrai dire, je crois que c’est cela qui m’a un peu gênée. Virginie Despentes a incontestablement du talent : elle sait construire et nourrir un personnage, et elle possède un style vif, incisif, qui installe efficacement une situation ou une atmosphère, et qui fait parfois mouche dans des formules qui claquent. Attendons le tome 2. Il n’est pas dit que je ne le lirai pas… Retrouvez Delphine Olympe sur son blog delphine-olympe.blogspot.fr
nuit blanche
Une bombe !
C’est l’histoire d’un type qui coule. Il était disquaire, il a vivoté ensuite en vendant son stock, petits besoins, repli sur soi, un toit le minimum alimentaire et un ordinateur, les années passent, il a toujours sa musique, et un pote devenu une vedette de la chanson qui lui paye le loyer quand il le sollicite. Mais la star meurt, et c’est vite la rue, expulsé. La rue pour Vernon au départ ce n’est pas si glauque, il est passé au travers de tout dans la vie, tel qu’il était à vingt ans il est resté, indifférent à tout au fond (immature, surtout). Belle gueule, mec sympa, de compagnie agréable, pas d’ego, peu demandeur, pas super futé non plus, le genre qui plane un peu. Peu de principes malgré tout, chair vieillissante de plus, il fait un peu la boule de flipper entre divers plans d’hébergement qu’il débrouille via Facebook, cascadant de déconvenue en vraie imbécilité. En arrière-plan, il détient des cassettes testamentaires vidéos inédites (qu’il n’a même jamais visionnées) de la star décédée, et beaucoup de gens s’y intéressent… Un roman très contemporain et aussi addictif qu’une série, qui déroule son intrigue principale en donnant tour à tour la parole aux différents personnages qui apparaissent, sans être un roman choral pour autant. Des propos souvent trash (jamais gratuitement), mention spéciale aux pensées de Kiko – pages 215 à 226 – un trader plein aux as qui sur un débit cocaïné au possible élève l’arrogance à un niveau rarement atteint. On ne reste indifférent à rien dans ce roman (virtuosité de la plume, qui s’intéresse en premier chef véritablement à ses personnages), tout vit, tout vibre, tout rebondit et claque, interpelle, repousse et attire; une bombe ! |
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