Alabama Shooting
John N. Turner

Editions de l'Aube
aube noire
juin 2015
256 p.  19,40 €
ebook avec DRM 9,99 €
 
 
 
 Les internautes l'ont lu
nuit blanche

Joan Travers est arrêtée par la police alors qu’elle quitte le campus universitaire sur lequel elle vient de tirer sur les personnes présentes à la réunion devant décider de sa titularisation, en tuant trois sur le coup, en blessant gravement plusieurs autres. Mais Joan Travers se souvient de tout sauf des quelques minutes de la fusillade. Elle nie en bloc être le tireur fou.

John N. Turner s’attaque à un fait divers américain réel pour construire un livre en deux temps alternés chapitres après chapitres : le temps présent qui part de la fusillade et avance petit à petit pendant les deux semaines suivantes, retraçant l’incarcération de Joan, sa dénégation constante de se responsabilité, les rencontres avec son avocat,… et le temps passé, de son enfance à la réunion qui a précédé la tuerie, retraçant la jeunesse de Joan, sa solitude, son mariage, ses grossesses, son parcours professionnel.

Dans la vie de Joan, tout a été chaotique. Dans son parcours, elle s’est fait autant de mal qu’on lui en a fait. De sa mère qui l’a constamment comparée au petit frère « parfait », à ses camarades qui se moquaient de son côté garçon manqué, cause de son incapacité à s’intégrer tant dans les groupes de filles que de garçon, en passant par sa seule amitié qu’elle détruira elle-même, par son père qui la rabaisse parce qu’elle n’est pas à la hauteur de ses espérances ou par son mari qu’elle présente comme un chancre de la beaufitude américaine dans toute sa splendeur, Joan se construit un schéma psychologique de solitude, de haine (haine envers les autres qui trouve sa source dans la haine de soi), de médiocrité.

Se dessine donc devant le lecteur un cercle vicieux dont les racines s’imbriquent tellement les unes dans les autres qu’il est impossible d’en sortir une cause unique.

Le coup de force de John N. Turner est bien de réussir à créer une fiction autour du personnage de Joan parfaitement cohérente avec les faits réels de ce sombre fait divers. Cette symbiose entre fiction et réalité doit être une des fiertés de l’auteur à qui j’ai posé la question directement. En dehors de sa réponse que je vous livre juste après, il a eu la gentillesse de ne pas soulever le fait qu’il avait déjà dû répondre 100 fois à cette question…

Pour la réalité, John N. Turner est parti de la chronologie des faits et bien évidemment la fusillade de 2010 en Alabama et les trois morts. Il s’est aussi basé sur l’histoire familiale (profession du père, activisme de la mère) de la meurtrière, de son passé et de sa relation avec son frère basée sur la jalousie. John N. Turner a ensuite brodé sur les descriptions des personnages, sur leur psychologie même si le physique peu amène de Joan Travers (ah au passage, ce n’est pas le vrai nom de le meurtrière…) n’est pas inventé, sur le descriptif de l’enfance, sur celui de la vie de famille de Joan Travers ou de sa vie professionnelle…

Par ailleurs, l’écriture de John N. Turner est fluide et les quelques 230 pages du livre défile à une vitesse constante et rapide. La structure du livre est intelligemment faite et repose donc sur l’alternance des chapitres du passé (les plus longs) avec ceux du présent qui montrent une coupable (présumée, soit) qui parce qu’elle n’a aucun souvenir de la scène du crime la rejette comme étant incompatible avec l’image qu’elle a d’elle-même. Cette image est bien évidemment fausse. Elle s’est créée un portrait-robot pratiquement à l’opposé de la réalité et c’est le processus mental de souvenir de son passé qui va finalement pouvoir lui faire prendre conscience de qui elle est et de ce qu’elle a fait, en 2010 en Alabama ou quelques années avant (mais chut…) , et de sortir du déni dans lequel elle est engoncée.

Bref, une vraie réussite ! A vous donner envie de lire Amérithrax (premier livre de l’auteur) qui vient de sortir en poche.

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