Comment le régime de Pékin combat-il les nuisances industrielles ? Quel arsenal déploie-t-il pour contrôler ses internautes ? Que visent ses campagnes de la lutte contre la corruption ? Chaque nouveau défi lancé aux dirigeants de la Chine moderne inspire un livre à Qiu Xiaolong. Observateur critique plutôt que pur dissident, ce citoyen américain d’adoption décrit avec ses armes littéraires à lui les turpitudes de la Cité interdite. Ses fictions policières révèlent une justice politisée, et les bribes de poèmes intemporels dont il les saupoudre contrastent avec la froideur de la realpolitik.
Après une pause de quatre ans, l’auteur raccroche la saga de son inspecteur Chen Cao à l’actualité la plus brûlante du moment. « Chine, retiens ton souffle » a pour toile de fond l’épais brouillard de pollution qui asphyxie les mégalopoles du pays. C’est dans ce smog collant qu’un tueur en série frappe à l’heure où Shanghai s’éveille. C’est contre ce même nuage mortel qu’une militante écologiste téméraire et une poignée d’industriels malins font cause commune, au risque de fâcher plus puissants qu’eux.
Chen est pris entre deux feux. Doit-il se joindre à l’enquête criminelle sur ordre de ses chefs ? Ou bien espionner ce lobby de la dépollution à l’invitation discrète de son précieux mentor, une huile du Parti qui a traversé toutes les purges ? Habile politique, il va lancer son adjoint sur les traces de l’assassin de l’aube. Incurable sentimental, il va suivre lui-même celles de la belle activiste, qui se trouve être son grand amour perdu des « Courants fourbes du lac Tai » (2010).
L’auteur développe un modèle rôdé, huilé, qui ne déroutera pas son public. La langue, tout d’abord. Ces emprunts lourds d’ironie à la langue de bois officielle. Ces proverbes, maximes et autres pensées confucéennes dont usent ses personnages pour justifier tout et son contraire. Et aussi ces échanges codés entre le policier et ses amis, au téléphone ou en public, clins d’oeil insistants à sa gourmandise. L’action ensuite, ou plutôt sa rareté. Elle se trame souvent hors de portée du héros, escamotée ou inaccessible. Il lui reste à déduire, à sonder, à ruser, exercice qu’aèrent ses poèmes, bulles de sagesse qui l’élèvent au-dessus des bassesses terrestres.
Peu importe ce qui est dissimulé à Chen. Ce qui défile sous ses yeux, le décor de ce théâtre du mensonge, en dit très long sur la démocratie à la chinoise. Au-delà des villes futuristes et des trains à grande vitesse, Qiu Xiaolong décrit les procédures expéditives et la surveillance permanente, les vérités préétablies et les coupables fabriqués. Il oppose à ce grand cirque du pouvoir les combines, la solidarité et les petits plaisirs auxquels s’accrochent les citoyens d’en-bas. Lui le fils de cadres persécutés sous la Révolution culturelle, l’exilé parti après la répression de Tian an-men, garde foi en la résilience de ses ex-compatriotes.