Gravesend est le numéro 1000 de la collection Rivages Noir. Un numéro anniversaire digne de ce nom comme l’a déjà relevé Encore du noir dans son article paru récemment. Gravesend est un quartier de New York, un ghetto plutôt. Nous sommes en 2011. Ray Boy Calabrese sort enfin de prison après 16 ans à y croupir pour avoir provoqué la mort de Duncan, le frère homosexuel de Conway, ce dernier ayant juré la perte de Ray Boy. Eugene, le neveu de Ray Boy, se réjouit du retour de son oncle : il vénère le loubard qu’il était et rêve de le surpasser. Alessandra revient à Gravesend après la mort de sa mère, dont elle a raté la cérémonie, et une carrière avortée d’actrice à Los Angeles. Stephanie végète à Gravesend en vieille fille amoureuse de Conway, bossant dans la même chaîne pharmaceutique que lui. Si les parents des principaux protagonistes ne quittent Gravesend que les pieds devant, leurs enfants ne valent pas vraiment mieux et tout dans ce quartier et dans le livre de William Boyle sent la naphtaline, le répétitif, le sempiternel recommencement, comme si chaque génération était vouée à reproduire les mêmes schémas que les générations précédentes, sous des formes plus modernes. Tout le monde de Gravesend tournant en vase clos, le couvercle de la marmite finit forcément par éclater férocement et s’il pète à la gueule de quelqu’un se sera évidemment au détriment de ses habitants, toutes générations confondues. Encore du noir l’a fort bien souligné dans son billet, je rajouterai simplement que le style de William Boyle colle aussi parfaitement à cette idée d’immobilisme sur plusieurs générations car si l’histoire décrite se passe dans la seconde décennie du XXI° siècle, William Boyle ne fait pas assaut de modernisme ni dans les scènes qu’il décrit (les personnages continuent de fréquenter les mêmes bars, ils ne font pas assaut de surf sur Internet ou sur des téléphones qui ne sont jamais décrits et ne sont pas assimilables à des tablettes ou autres prouesses technologiques contemporaines) ni dans son style, tant est si bien que l’action pourrait aussi bien se dérouler 10, 20 voire 30 ans en arrière. C’est dans cette atmosphère volontairement atemporelle que Conway, Ray Boy, Alessandra, Stephanie et Eugene se démènent, assez inutilement il faut bien se l’avouer. Ils représentent tous une facette d’un atavisme certain, appelez-le Gravesend ou comme bon vous semble, dont on ne peut échapper sans se brûler les ailes. Conway a vécu dans l’idée de la vengeance en opposition à sa lâcheté sans bornes. Ray Boy a baissé les bras et accepter sa culpabilité et, dans sa résignation à en finir une bonne fois pour toute, viendra au secours de la lâcheté de Conway, Eugene ira au bout de son fantasme d’affirmation de soi par la violence en reproduisant, de manière plus radicale encore, l’exemple de son oncle. Stéphanie adule l’image d’émancipation qu’Alessandra projette malgré son retour à Gravesend, « la queue entre les jambes » ; restée coincée à Gravesend entre une vie qui n’a jamais existé et une mère folle qui l’oppresse, Stéphanie me fait penser à Mary Hatch-Bailey, la femme de George Bailey (joué par James Stewart, dans le film de Capra « La vie est belle »), qui serait devenue une bibliothécaire vieille fille aigrie à grosses lunettes si George n’avait, selon son propre souhait, jamais existé, comme le lui montre son ange gardien Clarence : Stéphanie est la Mary qu’aucun George ne serait venue sauver ! Alessandra, toute imparfaite et défaillante qu’elle soit, représente la seule petite (vaine ?) lueur d’espoir tout au long du livre : la seule qui cherche à s’émanciper en allant chercher un job, un appartement ou une aventure à Manhattan. Un excellent cru Rivages/Noir…