On a toujours quelque chose de bon à prendre dans un roman de James Lee Burke. Eclairs ou fulgurances, souffle ou atmosphère, confrontations musclées ou confessions poignantes… les pépites se nichent entre deux de ces digressions lyriques qui sont sa marque de fabrique. En cela, « La Fête des fous », troisième volet de la saga Hackberry Holland, est la digne suite de « Dieux de la pluie » (2015), dont il prolonge l’intrigue. C’est aussi un parfait écho à « Lumière du monde » (2016), la vingtième et crépusculaire aventure de son héros le plus ancien, Dave Robicheaux.
Ici aussi, on sent l’heure des adieux approcher pour Hack, le sherif septuagénaire, hanté par des souvenirs de la guerre de Corée qui lui ont renforcé le blindage sans entamer ses réserves d’empathie. Ce faux ours à la Clint Eastwood, très abîmé à l’intérieur, essaie de garder la tête froide au milieu de crapules armées jusqu’aux dents et d’une jeune adjointe qui fond pour lui à vue d’oeil. Le voilà pris dans un ballet morbide et fou, entre un duo de fugitifs imprévisibles, les deux bandes de tueurs qui les traquent et de rares témoins qui risquent leur peau en croisant les uns ou les autres.
L’un des deux fuyards a dans la tête les plans d’un drone qu’un mafieux aimerait revendre aux djihadistes. Le FBI est sur le coup. L’autre fuyard est soupçonné d’avoir massacré un groupe d’immigrantes asiatiques (voir « Dieux de la pluie ») et le shérif Holland s’est juré de le lui faire payer. James Lee Burke brasse ainsi une quinzaine de personnages, les faisant se rencontrer ou s’éviter, s’affronter ou s’allier. Gros trafiquant, simple homme de main ou flic, chacun d’eux est renvoyé sans cesse à sa propre noirceur et à ses pulsions de mort, aux pires actes qu’il a commis, encouragés ou laissé commettre.
L’auteur les agite comme autant de dés dans un gobelet : les uns tirent un bon numéro et avancent, les autres calent en chemin. Trois caractères dominent le lot parce que plus complexes donc plus attachants : un faux prêcheur et vrai tueur aux remords aléatoires ; une ex-auxiliaire de la CIA désormais dévouée au sort des clandestins ; un mercenaire sans pitié rongé par la perte de ses enfants. Des méchants très réussis, qui donnent le ton au livre. De temps à autre, Burke glisse un instantané sur un paysage de désert, une pluie d’orage ou un bruissement d’arbres, de quoi laisser le lecteur respirer. C’est pour mieux le surprendre avec ces scènes d’affrontement, physique ou verbal, où il excelle, concentrés de ce « mal » et de cette violence endémiques qui habitent toute son oeuvre.