Pépite oubliée ou fond de tiroir ? Face à un inédit d’Arnaldur Indridason datant de 1998, on s’interroge forcément. A y regarder de près, « Les Roses de la nuit » est une enquête du commissaire Erlendur qui vient s’intercaler entre « Les Fils de la Poussière » et « La Cité des Jarres ». Alors que plusieurs « prequels » sont venus récemment éclairer la jeunesse du flic de Reykjavik, cet épisode se situe à un moment charnière de sa vie et de sa carrière. On s’y plonge donc pour savoir où il en est dans ses rapports douloureux avec ses proches, dans ses relations compliquées avec ses collègues. Et très vite, le charme agit à nouveau, car on retrouve ces figures imposées qui font la patte et le succès de l’auteur. Ce mélange intime entre une énigme criminelle et son contexte historique, cette photographie d’un peuple qui semble sans cesse chercher sa place et son identité, cette rencontre avec une terre ballotée entre les blocs et les influences. En conteur habile, Indridason nous promet des frissons, des plongées dans les bas-fonds et des visions d’horreur pour mieux emballer les grandes questions qui le tenaillent, sociétales ou politiques. Comme dans un zoom arrière partant du détail et menant à l’infini. La scène initiale, du plus bel effet gothique, suit un jeune couple parti s’ébattre de nuit dans un cimetière et qui voit une ombre déposer un cadavre sur une tombe. Mystère d’un noir d’encre puisque la morte est une jeune toxicomane dont la police n’a jamais enregistré la trace. C’est compter sans Erlendur, acharné à se prouver qu’il vaut mieux que l’image de salaud et de lâche renvoyée par sa fille et son fils, eux-mêmes imbibés de drogue et d’alcool depuis le divorce de leurs parents. S’il laisse quelques illusions sur la route des fjords de l’ouest, où le conduisent ses investigations, le commissaire veut encore croire à quelque chose. Il va au-devant des gens, dans les campagnes et les taudis, se confronte aux fléaux de l’exode rural, de la spéculation immobilière et du trafic d’héroïne. Il rencontre ses enfants et échange avec ses équipiers, parfois pour de magistrales engueulades, il téléphone même à son ex-femme à qui il n’avait plus parlé depuis vingt ans. Ce n’est certes pas un joyeux drille, il ne le sera jamais, mais son humanité n’est pas éteinte par les drames personnels, comme on le verra plus tard dans la saga. A travers lui comme à travers les « méchants » de l’histoire, toujours très typés et très réussis, le romancier islandais ne fait pas que bâtir un suspense, il nous fait aimer ce pays aux jours d’étés sans fin et aux hivers sans pitié.