L’équation réunit plusieurs inconnues : un auteur allemand quasi débutant en France (deux romans aux éditions de l’Aube), un titre français un peu fade (en V.O : « Ein paar Tage Licht », soit « Quelques jours de lumière », tout de même plus élégant), un sujet d’apparence aride (un embargo brisé sur les ventes d’armes à l’Algérie)… Mais la littérature obéit à d’autres règles que les maths et la formule de « Paix à leurs armes », déjà primé deux fois en Allemagne, se révèle gagnante.
Oliver Bottini, 50 ans, romancier natif de Nuremberg et vivant à Berlin, nous entraîne dans ces sous-sols de la diplomatie et du commerce international où se résolvent les crises et se signent les contrats honteux. Un cadre d’une grande entreprise d’armement d’Outre-Rhin arrive sous bonne garde à Constantine, en Algérie. Il est enlevé, ses gardes du corps tués. Une action d’Al Qaida, affirment les services de renseignement locaux.
Le fonctionnaire de liaison de l’ambassade, Ralf Eley, affecté à la sécurité de la délégation allemande et de ses invités, n’y croit pas. Il flaire un marché qui a mal tourné et suit son intuition, sourd aux ordres et aux pressions, en espérant sauver l’otage. Le récit, heureusement, ne s’arrête pas à l’immersion d’un dur-à-cuire solitaire en milieu hostile. Autour de lui, l’auteur fait entendre tour à tour les voix d’autres protagonistes impliqués dans le scandale ou le kidnapping, composant un « thriller choral » original et sophistiqué.
Côté Berlin, on a un industriel qui corrompt et manipule, une diplomate qui se débat avec sa culpabilité… Côté Alger, un vieux combattant du FLN qui ressasse ses échecs, son petit-fils qui s’enfonce dans la clandestinité… Et tout le monde traque tout le monde. Entre les deux capitales et les montagnes de Kabylie, chacun joue sa vie et se dépouille dans la fuite jusqu’à mettre son âme à nu. Les points de vue se superposent, se complètent, chacun amenant une part du sombre secret dans lequel se débat l’enquêteur allemand.
En même temps que les curseurs du danger, Oliver Bottini pousse ceux de la passion. Ralf est fou d’une belle magistrate algérienne, Amel. Leur amour interdit et leur intégrité traversent ce monde opaque et gris comme des rais de lumière. Un suspense intense, de belles parenthèses sentimentales et, entre les deux, une charge politique sévère. L’auteur semble viser l’Algérie, étouffée par une caste d’octogénaires, mais c’est pour mieux blâmer l’Allemagne, puissance cynique, prête à tout pour le bien de sa sacro-sainte économie. Un procès d’une cruelle actualité, qui vaut aussi pour d’autres…