Israël est une terre fertile pour les bonnes fictions d’espionnage. Le filon s’est déjà largement exporté au travers de séries télévisées telles que « Hatufim » (2010) – dont s’est inspiré « Homeland » – ou plus récemment « Hostages » (2013) et « Fauda » (2015). Il se transpose aussi facilement à l’écrit, comme le démontre Dov Alfon avec son premier roman, « Unité 8200 ». Ce quinquagénaire francophone, né en Tunisie, est un journaliste aguerri, correspondant à Paris de l’excellent quotidien israélien Haaretz. Il a aussi été, dans une vie antérieure, officier dans les services secrets.
Un pied dans l’écriture, un autre dans la chose militaire, avec l’actualité politique pour trait d’union. Un parcours qui résume peut-être pourquoi, plus généralement, les Israéliens sont à l’aise avec cette matière. Au sein d’une nation aussi pénétrée du souci de sa sécurité et de la défense de ses frontières, le renseignement est une activité vitale et assumée. Et sur le CV, une ligne qui n’a rien de honteuse. Connaître ainsi le système de l’intérieur permet d’être précis et crédible quand on en parle. Ce qui n’interdit pas d’y mettre de la distance.
Quand « Unité 8200 » (lire huit-deux-zéro-zéro) nous fait entrer dans les arrière-cuisines d’un service de surveillance électronique ultra-performant, où l’homme est une sorte d’auxiliaire du téléphone, on y croit. Mais l’auteur observe ce monde parallèle high tech avec détachement. Il se fait même un peu moqueur quand il met en scène les exigences d’un Premier ministre plus vrai que nature ou bien les chicaneries entre hauts gradés.
Une mêlée que ses deux personnages principaux survolent avec un temps d’avance. L’un, colonel rompu aux missions clandestines, se débat à Paris avec un gang de tueurs chinois lâchés aux trousses d’un de ses compatriotes. L’autre, jeune lieutenante déjà très endurcie pour son âge, déjoue depuis son QG militaire les intrigues de palais et les rivalités entre services. Dans sa complicité à distance, ce séduisant duo nous fait voyager du désert du Néguev jusqu’à Bagnolet, puis de Créteil jusqu’à Tel Aviv. Choc de cultures.
En chemin, au long de leurs 24 heures de course-poursuite, le sang ruisselle. Ils croisent une bonne douzaine de cadavres, mais cette violence reste un ingrédient du scénario déchargé d’émotion, introduit avec désinvolture, façon « 007 » ou « Mission Impossible ». L’auteur en use comme d’un signal nous ramenant à chaque fois au cœur de l’énigme : qui manipule les tueurs et avec quel mobile ? On compte donc les coups, mais en prenant un réel plaisir à ce thriller d’action résolument divertissant.