« J’ai attendu que le premier juré tiré au sort se lève du banc où il était assis au milieu des autres, se fraye un chemin parmi eux, et entreprenne, comme le président l’y invitait, de rejoindre son siège. Alors qu’il avait fait la moitié du chemin, sans même lui jeter un regard, j’ai crié d’une voix forte : « Récusé ! » D’une voix presque désolée, le président a renchéri : « Juré numéro 11, vous êtes récusé par la défense. » Penaud, le malheureux a regagné sa place.
Je récuse systématiquement la première personne dont le nom sort de l’urne. Cela provoque tout de suite l’émotion et d’abord parmi les jurés. Tous se demandent pourquoi je viens de récuser l’un des leurs, quelle tare il pouvait bien présenter. Du coup, c’est avec soulagement qu’ils accueillent leur désignation ultérieure. Et éprouvent un peu de sympathie pour cet avocat qui ne les a pas, eux, renvoyé. Mais comment savoir qui sera un bon juré ? Quelqu’un de suffisamment cultivé pour comprendre les arguments qui seront échangés ? D’assez rigoureux pour ne pas condamner s’il a le moindre soupçon ? De jeune, qui n’aura pas d’idées préconçues ou d’âgé qui ne se laissera pas facilement influencer par le représentant de l’État qu’est le procureur ? Un homme ou une femme ? L’expérience prouve qu’il n’y a pas de règle. »
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Une jeune, jolie et brillante auditrice de justice est assassinée. Son amant, avocat à la tête d’un cabinet d’affaires, est accusé et mis en examen. C’est alors son avocat, David Lucas, qui prend la narration en charge et décortique pour nous l’intégralité du système judiciaire français…
Premier roman d’André Buffard par ailleurs avocat très médiatisé et « ténor du barreau » comme on dit (défenseur entre autre de Jean-Claude Romand), « Le jeu de la défense » ne parle que de droit. A la fois roman procédural, enquête policière et étude de moeurs, il a la forme d’une confession ou d’un mémoire et s’il est évidemment excellemment documenté il ne boude pas les anecdotes – toutes intéressantes. Le suspens est nourri (beaucoup de suspects plausibles) malgré quelques ficelles un peu trop grosses (on comprend qui est l’auteur des fuites bien avant le rebondissement au procès) et l’épilogue est suffisamment ouvert pour que l’on espère une suite. Néanmoins deux problèmes demeurent : le héros est antipathique (non mais ses réflexions machistes à deux balles ! Sa façon de se prendre pour un cador à qui tout doit tomber dans le bec tout cuit ! Son whisky, ses marques citées en permanence, lui, lui, lui – sa vanité irritante) et l’écriture est trop appliquée; certes précise et claire, elle a un côté scolaire trop propre pour son bien.