Imaginez vous réveiller sur un lit d’hôpital sans pouvoir comprendre par quel mystère vous êtes arrivé là . La chose est déjà déstabilisante en soi, mais quand en plus les seuls souvenirs qui vous viennent en mémoire sont ceux d’un ami photographe vous déposant là , venant d’un club échangiste. « J’ai chanté. J’ai fait l’amour avec un homme. Au-delà des cinq premières minutes, je n’ai pas de visuel. »
Et cette certitude : « on m’a droguée, on m’a droguée. »
Petit à petit les pièces vont se mettre en place. Quel rôle à joué l’ami Jules ? Qui est ce Joël qui était aussi présent ? Lui a-t-on vraiment fait absorber la drogue du viol ?
« J’ai bien eu tous les symptômes… perte d’inhibition… somnolence… nausées… Mon cas est celui de milliers d’autres femmes (…) A forte dose ces produits se transforment en armes. Ils peuvent occasionner le coma, la dépression ou la mort. »
Le trou noir fait peu à peu place à quelques flashes, au karaoké, au bar, au sauna du club Le Carmin. D’ami, Jules devient suspect, car il se contredit, livre des versions à la chronologie et aux acteurs changeants.
La certitude se fait petit à petit jour : Anna a été abusée durant ses trois heures de black out. Elle a été droguée et violée.
Dès lors se pose une question qui dépasse les soins hospitaliers et les analyses médicales. Que faire ? Porter plainte, mais contre qui et pourquoi ? L’interrogatoire au commissariat est très traumatisant. Car une femme victime de viol dans un club échangiste l’a sans doute cherché. « Une femme violée, c’est une meurtrière en puissance.»
Il faut dés lors mesurer les dangers des paroles et des silences. Pour son entrée dans la série noire, Brigitte Gauthier délaisse les codes du genre. Ici pas d’enquête, pas de policier, pas de procès. Après sa déposition, elle comprend qu’elle n’aura quasiment aucune chance de voir justice rendue. Que ses adversaires, à condition de pouvoir prouver leurs agissements, auront derrière eux bien plus que des arguments de défense : la bien-pensance d’une société qui n’admet pas les vies dites dissolues. Que le crime dont elle a été victime peut se retourner contre elle…
Dans les conte de fées, les victimes s’en sortent, le bien triomphe du mal et quelquefois, les mauvais sont vengés. Seulement voilà , dans le cas présent, il ne s’agit pas d’un conte de fées. Mais si le combat d’Anna pour se reconstruire ne sera pas totalement vain.
Un roman noir à conseiller aussi pour faire évoluer les mentalités sur l’un des crimes les plus odieux et sans doute le plus impuni de nos sociétés dites civilisées.
Retrouvez Henri Charles Dahlem sur son blog Â