À coups de pelle
Cynan Jones

Joëlle Losfeld
litt etrangere
mars 2017
168 p.  16,50 €
ebook avec DRM 11,99 €
 
 
 
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Tragédie au coeur de la campagne galloise.

Est-ce parce que Cynan Jones est agriculteur et qu’il vit au nord d’Aberarth au Pays de Galles qu’il parle avec tant de justesse et de délicatesse de la terre, des bêtes, du ciel et des hommes ? Ce qu’il nous dit, il nous le fait sentir. Pas d’explications inutiles , pas d’analyses superflues. Ses mots parlent aux sens : l’odeur de la terre fraîchement retournée, des bêtes, le sang qui se mêle à l’eau et à la paille, le parfum de sa femme qui s’estompe doucement dans la maison, le métal froid du fusil, les cris des étourneaux et des sarcelles, les aboiements des chiens dans le lointain, le bêlement des brebis, la nuance rosée des champs en fin de journée et du ciel gris et froid au petit matin.
Daniel, seul personnage portant un nom dans ce roman, est rongé par la fatigue : c’est la saison de l’agnelage et même la nuit, il doit veiller pour que les mises bas se passent bien. Il a repris la ferme familiale et travaille comme autrefois, répétant les gestes de ses parents, refusant, dans la mesure du possible, la modernisation : «  Et dans le calme de cette nuit il ressent brièvement, comme si quelque chose d’invisible lui touchait le visage, l’ancienneté de la chose qu’il fait, il sent qu’il pourrait être un homme de n’importe quelle époque. »
Sa tâche lui paraît parfois insurmontable. Ils étaient deux encore récemment mais sa femme est morte, accidentellement. Il est dévasté, anéanti. Cette perte est impossible, impensable. Elle n’est plus et pourtant, il la sent encore présente partout, il la voit, l’entend. Il ne peut accepter son absence. Et comme dans un état second, dans des gestes qui le rattachent à la vie, il s’occupe des bêtes, les soigne, soulage leur douleur. Il met au monde. Il est du côté de la vie et s’occuper de la ferme lui donne un but .
Un peu plus loin, vit le grand gars, un homme fruste, brutal, sans nom, qui organise des parties de chasse aux blaireaux pour le plaisir d’une poignée d’hommes cruels qui paient car ils ont besoin de sang, de souffrance et de terreur pour se divertir. Cette activité atroce et barbare consiste à envoyer un chien dans un terrier : le blaireau effrayé se trouve donc acculé au fond de son trou et, plongé dans une terreur extrême et un stress impensable, il doit lutter parfois pendant de longues heures pour se défendre contre les morsures du chien. « Dans l’espace étroit de la galerie, les jappements constants assourdissaient le blaireau et le perturbaient comme des lumières vives à l’intérieur de son cerveau, et il ne savait plus ce qu’il pouvait faire. A partir de là c’était une impasse . Une simple question de temps. » Alors, les braconniers repèrent l’endroit où se terre l’animal et creusent jusqu’à l’atteindre. Le blaireau est ensuite sorti avec des pinces en fer. (Petite précision qui a son importance : cette activité d’une cruauté sans nom est interdite dans de nombreux pays européens où l’espèce est protégée, mais parfaitement autorisée en France pendant neuf mois et demi de l’année. Cela s’appelle « la vénerie sous terre ». Je vous laisse découvrir des images terrifiantes sur Internet…)
Dans le roman, lorsque les pauvres bêtes sont attrapées, elles servent à des combats illégaux. Elles doivent se battre contre des chiens assoiffés de sang et entraînés à tuer. C’est d’une sauvagerie insoutenable : « Les pinces avaient été forgées tout spécialement pour cet usage, et elles extirpèrent le blaireau de la fosse et le tinrent suspendu. Pendant que les paris se prenaient, ils lui arrachèrent les griffes des pattes avant. Ensuite ils lui tinrent la tête, lui ouvrirent la gueule avec une pince-monseigneur et lui défoncèrent les dents de devant. »
Deux façons de voir le monde, d’être au monde : tandis que Daniel est porté par l’amour de sa terre, de sa ferme et de ses bêtes, par l’amour de sa femme qui n’est plus, l’autre, le grand gars, est violent, mauvais, nuisible. Deux personnages antithétiques symbolisant le bien et le mal, la vie et la mort. La tension monte entre ces deux hommes qui se connaissent mais s’ignorent et dont on imagine la rencontre inéluctable et terrible.
Une vraie tragédie au coeur d’une campagne galloise perdue dans un brouillard épais, battue par les vents et la pluie, reflet de la tempête sous un crâne que vit Daniel, inconsolable dans son malheur et si seul.
J’ai aimé ce texte à la fois sensuel, poétique et frisant parfois même le lyrisme : l’évocation de la nature touche au sublime et les sentiments de Daniel pour sa femme sont extrêmement émouvants de sincérité et de pureté. C’est aussi un texte dur, âpre, puissant qui dit la difficulté du travail d’éleveur, le rapport aux bêtes, à la vie et à la mort.
Enfin, A coups de pelle est un texte engagé qui parle de la souffrance des bêtes, de ce qu’elles subissent de la part des hommes.
Pour combien de temps encore ?

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