Brigitta
Adalbert Stifter

traduit de l'allemand par Marie-Hélène Clément
Cambourakis
septembre 2015
90 p.  9 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

La beauté de la laideur

Depuis peu, l’œuvre de l’écrivain autrichien Adalbert Stifter (1805-1868) fait l’objet d’une redécouverte méritée. Son roman le plus connu, L’Homme sans postérité, est un petit bijou du romantisme. Quant à Brigitta, voilà un conte enraciné au fin fond de la steppe hongroise, où notre jeune guide se rend sur l’invitation d’un homme rencontré deux ans auparavant en Italie. Traversant au printemps un pays couvert de steppes à l’infini, le voyageur se demande comment le major Bathori, bel aristocrate dilettante, a pu se fixer dans un paysage aussi vaste et sauvage. Il le retrouve dans son château, qui se consacre désormais au développement d’une agriculture progressiste. Au cours de son séjour, l’hôte du major fait aussi la connaissance de Brigitta Maroshely, qui dirige le domaine voisin. Vêtue comme un homme à la mode traditionnelle, parcourant seule ses terres à cheval, Brigitta a acquis son autorité à force de détermination. Aussi disgracieuse qu’envoûtante, arrivée de nulle part une quinzaine d’années plus tôt, elle a concentré l’énergie d’un désespoir inconnu dans l’effort collectif de production. Fasciné par cette vie autarcique et authentique, le narrateur s’installe quelque temps chez son ami, aspirant à se fondre dans ce mode de vie idéal. Mais quelques mois plus tard, alors que l’hiver approche, il sera témoin d’un événement imprévu qui précipitera le dénouement d’une histoire tragique commencée presque vingt ans auparavant.

Stifter crée ici un personnage original de femme émancipée et charismatique, loin des douces beautés éthérées que l’on trouve souvent dans la littérature romantique de cette époque. La simplicité de la narration met en relief la violence des passions et les contradictions angoissées de personnages qui cherchent leur place hors d’un monde imprégné de vanité. L’intrigue, dans ce court roman, laisse une large place à la contemplation des paysages somptueux, aux couchers de soleil d’un rouge ardent, aussi brûlant qu’une plaie à vif qui jamais ne cicatrise. A rebours des idées reçues, la steppe dévoile ses forêts denses et ses chemins insoupçonnés propices à l’échappée hors du monde et du temps, là où l’alchimie des cœurs opère lentement. Poétique et sensuel, mystérieux et implacable, le conte de Stifter est une merveilleuse introduction à l’œuvre d’une modernité inquiète et silencieuse.

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